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LA SCOUINE

sillons de pommes de terre où des enfants grêlés par la picote recueillaient le repas du soir.

Après, s’étendait une région inculte, couverte d’herbes sauvages et de jeunes bouleaux. Par intervalles, de larges tranchées avaient été creusées jusqu’à la terre arable et la tourbe, taillée en blocs cubiques, mise en piles, pour sécher. L’un de ces blocs attaché au bout d’une longue perche dominait le paysage comme un sceptre, et servait d’enseigne.

La tourbe, combustible économique, était assez en vogue chez les pauvres gens.

Les feux que les fermiers allumaient régulièrement chaque printemps avant les semailles, et chaque automne après les travaux, avaient laissé ça et là de grandes taches grises semblables à des plaies, et la terre paraissait comme rongée par un cancer, la lèpre, ou quelque maladie honteuse et implacable.

À de certains endroits, les clôtures avaient été consumées et des pieux calcinés dressaient leur ombre noire dans la plaine, comme une longue procession de moines.

Charlot et la Scouine arrivèrent enfin chez eux, et affamés, ils soupèrent voracement de pain sur et amer, marqué d’une croix.