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LE DESTIN DES HOMMES

Malgré tout il lui fallait se remuer, trouver quelque chose car, dans son petit village, dans son petit magasin, elle n’arrivait plus à gagner son pain. Par moments elle en venait à envier le sort des prisonnières qui, elles, mangent à peu près à leur faim.

Un jour, malgré ses précédents échecs, elle crut avoir trouvé le salut. Une petite annonce dans le journal demandait une gérante dans un magasin de hardes faites à Beaufort, à quarante mille de Montréal. Dès le lendemain, elle s’y rendit, mais l’annonce était fallacieuse. Ce n’était pas une gérante que l’on voulait engager, mais une vendeuse et une femme de peine en même temps. Le salaire était de $18 par semaine. Le propriétaire de l’établissement était un gros juif qui vous regardait à travers des verres très épais. La journée de travail commençait le matin à huit heures et se terminait le soir à sept heures, le vendredi à neuf heures et le samedi à onze heures. Certes, la tâche était dure, mais il n’y avait pas à hésiter. La nécessité forçait la marchande à accepter toutes ces conditions. La difficulté toutefois, était de se trouver une pension près du magasin. Elle passa le reste de la journée à chercher, à marcher, à marcher et à s’embêter. Mais elle ne put rien trouver. Finalement, tombant de fatigue, épuisée, elle était entrée dans l’église pour se reposer. Le temple était très sombre, car il était tout drapé de noir pour un grand service qui devait avoir lieu le lendemain. Là, elle s’était endormie et, pendant deux heures, elle avait sommeillé profondément. Enfin, le soir, elle était retournée dans son village, encore plus pauvre que lorsqu’elle en était partie le matin car le voyage lui avait coûté sept piastres.

Le lundi cependant, elle recevait une lettre du marchand juif, l’informant qu’il lui avait trouvé une pension et lui disant qu’il l’attendait pour le lendemain. Alors, elle était