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LE DESTIN DES HOMMES

tiver dans son jardin. Lui, il estimait qu’acheter des conserves, c’est bon pour les gens de la ville qui n’ont pas un petit coin de terre pour faire pousser des fèves, des tomates et des petits pois. La campagne, c’est la campagne.

La vie ne serait pas belle, mais elle serait au moins endurable s’il n’y avait pas toujours quelqu’un ou quelque chose pour la gâter. Dans une famille, c’est une belle-mère, un enfant, une bru qui empoisonne l’existence quotidienne. Parfois, c’est un voisin. Dans un bureau, c’est un gérant qui, à force de bassesses devant le patron a conquis l’autorité et qui en profite pour constamment malmener ses subordonnés et qui leur cause de continuelles tracasseries. Ici, ce n’était pas même une personne. C’était des chiens. Trois chiens.

Latour, avec les années s’était complètement désintéressé de sa compagne. Il avait alors reporté son affection sur ses chiens : Marin, Bayard et Capitaine, qui le suivaient toujours et qui, lorsqu’il entrait dans la cuisine à l’heure des repas, se couchaient à ses pieds près de la table, se levaient, se déplaçaient, traversant lentement la pièce et se trouvant dans le chemin de la cuisinière apportant ses plats. Alors, elle devait faire un détour pour éviter l’animal, ne pas buter sur lui et peut-être s’ébouillanter avec la théière remplie de thé brûlant. Ça, c’était ennuyeux, fatigant au possible.

Amanda trouvait parfois étranges les goûts de son mari. Ainsi, lorsqu’elle était entrée dans la maison après son mariage, elle avait aperçu un vieux fusil accroché au mur dans la cuisine. « Ça, lui avait-il déclaré avec fierté et émotion, c’est un fusil des patriotes de 1837. Je l’ai payé une piastre et demie à un encan, mais je ne le donnerais pas pour cent piastres. C’est une relique sacrée. »