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LE DESTIN DES HOMMES

Silencieusement, en fumant sa pipe, le vieux songeait à cette terre qu’il avait vendue, à son fils, qui reposait au cimetière à côté de son grand-père. Lui aussi irait les rejoindre un jour. Ça, ce sont les pensées que roule dans sa tête un vieil habitant qui est venu finir ses jours au village.

Ils étaient bien affligés, les deux vieux, l’un en pensant à son fils mort et l’autre à sa fille partie pour se faire religieuse. En deux mois elle vieillit de dix ans, la mère Boyer. Elle avait l’air bien triste, bien caduque maintenant. Sœur Sainte-Perpétue écrivait une fois par mois. Dire qu’elle donnait des nouvelles, ce serait mentir. Simplement, elle parlait de la joie qu’elle éprouvait d’avoir trouvé sa voie, d’être entrée dans le chemin qui la conduirait au ciel.

— C’est de bien belles lettres, disait en soupirant la vieille mère, qui ignorait tout de la vie de sa fille.

Comme ni elle-même ni son mari ne savaient écrire, elle demandait à Flore, la fille de la voisine, de répondre pour elle à la jeune novice. Puis, un jour, une lettre arriva, annonçant que sœur Sainte-Perpétue était partie pour une lointaine destination. Sa supérieure l’envoyait en Louisiane où elle prendrait soin des malades dans un hôpital de la Nouvelle-Orléans. En lisant cette nouvelle, la vieille mère eut la sensation qu’on lui arrachait son enfant. À ce moment, elle eut l’intuition qu’elle ne la reverrait plus.

Hector, lui, pensait à son commerce. Il faisait des plans. Il n’attendait pas que le foin fût récolté et engrangé pour négocier avec les fermiers. Dès les premiers jours de juin, il rendait visite aux cultivateurs et s’entendait d’avance avec eux pour acheter leur récolte. Il ne voulait pas les exploiter, simplement faire un honnête profit. « Je veux que chacun vive », disait-il. « Non, pas tout pour moi et rien pour les autres. À chacun sa part. » Ceux qui