Page:Laberge - Le destin des hommes, 1950.djvu/137

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
135
LE DESTIN DES HOMMES

de remarquer la maison où la dame avait monté l’escalier. Alors, hier, la curiosité me poussant, j’ai passé devant ce logis, mais je n’ai rien vu. Cet après-midi toutefois, j’ai aperçu la dame qui paraissait assise devant la fenêtre. Je ne saurais assurer que c’est elle, car je ne l’avais pas vue de face, mais ça me paraissait être elle. On aurait dit qu’elle attendait quelqu’un et guettait son arrivée. Peut-être aussi, contemplait-elle le spectacle de la rue ou peut-être encore rêvait-elle. Il est aussi possible qu’elle ne pensait à rien. Cela arrive.

14 novembre

Papa est on ne peut plus charmant, plus aimable pour maman. Au souper, il s’est informé si elle était sortie au cours de la journée et lorsqu’elle a répondu qu’elle était demeurée à la maison, il lui a dit : « Mais c’est un péché de rester ainsi enfermée par un si beau temps. Il faut prendre l’air pour te maintenir en bonne santé. À toujours être cabanée, tu te faneras ». Et maman a répondu : « Ah ! que veux-tu ? J’ai tant de choses à faire à la maison que je n’ai pas le temps de sortir. Puis, je pense à vous autres et je suis satisfaite ». Papa a été sur le point de riposter, mais il s’est tu. J’ai compris qu’il sentait l’inutilité de ses paroles.

16 novembre

Je passe presque chaque jour devant la maison de la rue Saint-Denis. Une force invincible m’y attire. Hier la dame que j’avais vue avec papa rentrait d’une promenade tenant par la main un garçonnet de trois ou quatre ans. Je les ai dépassés, car le petit avait échappé son gant et sa mère s’est penchée pour le ramasser. J’ai remarqué qu’elle a de beaux yeux violets. J’ai été frappé d’une chose étrange. Cet enfant ressemble à papa d’une façon frappante.