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LE DESTIN DES HOMMES

une paire de lacets de bottines pour le garçonnet de l’une d’elles.

Ah ! que le monde est pauvre à Lavoie !


À certains jours, un vent de colère, un souffle de fureur passaient sur le petit village. Il y avait du bruit, des rassemblements, des assemblées pour dénoncer la conscription. En termes énergiques l’on condamnait la politique des marionnettes du gouvernement dont l’Angleterre tirait les ficelles. Des valets des Anglais, disait-on avec mépris. L’on parlait fort, mais, malgré cela, les garçons de la localité étaient obligés de partir et d’endosser l’uniforme. L’on était forcé de se soumettre à la loi et d’aller se faire tuer. « C’est triste de voir de belles jeunesses partir pour la guerre », s’apitoyait Mme Rendon.

Nombre de jeunes gens se cachaient dans les bois.

Une vieille dont les deux fils étaient morts déclarait chaque jour : « J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. J’étais fière de mes deux garçons. Je comptais sur eux pour m’aider dans ma vieillesse. On me les a pris. Je ne sais même pas où ils sont enterrés. Ah ! malheur de malheur ! »

Dans la paroisse, dans chaque famille, il y en avait un ou deux de partis.

Combien reviendraient ?


Il n’y avait pas beaucoup d’imprévu dans sa vie, mais la veuve Rendon eut un jour une surprise. Elle reçut une demande en mariage en vers. Cette originale proposition lui venait d’un fermier de la paroisse qui ne lui avait jamais parlé. Toutefois, elle le connaissait de vue, car c’était le chantre à la grand’messe le dimanche. Il avait autrefois, étudié pour être prêtre, puis avait renoncé à cette voca-