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LE DESTIN DES HOMMES

Des soirs, elle pense à ceux-là qui l’ont aimée, à ceux qu’elle a aimés, mais aux anciens jardins de volupté aucun fruit ne pousse. À cette heure, ils sont comme les feuilles mortes des automnes enfuis que le vent a emportées. Aucune consolation de ce côté.

Avec cela les jours passaient et chacun d’eux ramenait toujours le problème du pain.

« Qu’est-ce que je vais faire ? Qu’est-ce que je vais devenir ? » se demandait-elle, éperdue, affolée. « Avec le peu que je gagne, je ne peux acheter quelques marchandises et vivre. Cela est impossible, absolument impossible. »

Et elle restait plongée dans de tristes pensées.

Devant la dure nécessité, elle s’adressa de nouveau au maire, lui demandant de lui prêter une centaine de piastres. Mais M. Dorion était un homme d’affaires, non un philanthrope, ni le trésorier de la Saint-Vincent-de-Paul, ni d’aucune organisation de bienfaisance. Il répondit que la chose lui était impossible. « De l’argent, je n’en ai pas. Tout passe en taxes. Quand j’ai payé mon impôt sur le revenu il ne me reste rien », déclara-t-il.

« C’est plus facile pour lui de dire ça que d’aider une personne dans le besoin », commenta à elle-même la veuve Rendon.

Elle oubliait toutefois de reconnaître que le maire, sobre et travailleur, n’avait jamais jeté son argent aux quatre vents, jamais gaspillé, jamais fait d’extravagances.

Elle vivait des jours bien difficiles. Souvent il lui arrivait de dîner d’un bol de soupe maigre et de souper d’une pomme de terre. Quant au déjeuner, ça c’était du luxe.

Ce régime ne pouvait durer indéfiniment. Que faire ? Que faire ?

Causant un jour avec le conducteur de la malle qui venait de lui livrer un léger colis commandé à un grand