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LE DESTIN DES HOMMES

de quatre pieds de neige sur la route le matin de l’inhumation. Comme il faisait un froid noir, le charretier avait mis une couverte rouge sur le dos de sa bête pour la protéger, mais la caisse d’épinette renfermant la morte était exposée au vent et à la froidure. Deux personnes seulement formaient le cortège funèbre de la marchande : le maire et le fermier, chantre à l’église, qui avait jadis adressé une demande en mariage en vers à la veuve Rendon.

Le maire qui se rappelait la première visite de la morte à Lavoie dans son élégante automobile remarqua au chantre :

— Elle s’en va plus pauvrement que lorsqu’elle est venue ici pour la première fois.

— Oui, répondit sentencieusement celui-ci. Comme on dit : il y a des haut et des bas dans la vie.

Le traîneau portant sa boîte de bois brut teinte en noir s’éloignait lentement au pas du cheval qui avançait péniblement dans la neige qui lui allait jusqu’au poitrail et qui balançait la tête à chaque effort.

La marchande s’en allait à son repos. Elle laissait dans la fenêtre de sa maison trois chapeaux poussiéreux et déteints ainsi qu’une carte de modes montrant différents modèles de manteaux et, dans sa porte, une pancarte avec le mot : MODISTE.