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LE DESTIN DES HOMMES

du vieux Gédéon. Elle traversa la cuisine, ouvrit une porte dans le fond et cria : Hé, le père, de la visite pour vous.

Le vieux Gédéon entra.

Complètement chauve, la figure couverte de poils blancs d’une croissance de quatre ou cinq jours, Firmin Dault, qui avait jadis courtisé la grande Philomène, était étendu sur un petit lit malpropre, dans une chambre sombre, étroite et basse, si basse qu’on était tenté de courber la tête pour ne pas heurter les solives du plafond. En entendant sa bru annoncer : De la visite pour vous, le vieux souleva légèrement sa tête de l’oreiller gras et sale, regardant l’homme qui entrait.

— C’est Gédéon Quarante-Sous qui vient te voir. Hein ! tu ne m’attendais pas aujourd’hui ?

— Non, et je ne pensais jamais te revoir. Quel bon vent qui t’amène ?

— Ben, tu sais, je m’ennuyais et je me suis dit que je ferais le tour des anciens.

— T’es ben chanceux de pouvoir te promener. Moé, je suis au lit. J’ai peine à me remuer. Je suis comme un enfant. Imagine-toé pas que c’est drôle de demander à ma bru de m’aider pour me mettre sur la tinette.

— T’étais plus fringant que ça lorsque tu allais voir Philomène.

En entendant ce nom, Dault voulut sourire mais il ne fit qu’une vilaine grimace.

— C’était le bon temps, dit-il, mais on n’a pas toujours vingt ans. On ne prévoit pas ce qui nous attend. Moé, le docteur me défend de manger de la viande et du sucré. C’est pas une vie, ça. Pis les orteils me tombent. Regarde ça.

Et ce disant, le malade souleva lentement et péniblement sa couverture, mettant à nu et montrant un pied