Page:Laberge - Le destin des hommes, 1950.djvu/32

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
30
LE DESTIN DES HOMMES

forgeron. Justement, son père était là. Le fils oublia pour le moment sa colère et son ressentiment et causa avec abandon avec son père. Il paraissait content de le revoir. Marcheterre, lui, était franchement heureux de retrouver son fils.

— Pis, les affaires, comment vont-elles ? s’enquit le vieux.

— Pas bien du tout. La récolte a été mauvaise, j’ai perdu un cheval qui valait cent cinquante piastres, pis ma femme a été malade et ça m’a coûté cher. Les docteurs se dérangent pas pour leur plaisir. Ces accidents me jettent en arrière. Avec ça, j’ai des paiements à faire. Ah ! les temps sont durs. Faudrait que je trouve à emprunter. Oui, il me faudrait cinq cents piastres pour me remettre d’aplomb…

Le vieux songeait sans rien dire.

— Écoutez, papa, reprit François, ça fait longtemps qu’on n’a pas mangé ensemble. Venez donc souper, disons dimanche soir. Ça nous fera du bien de se retrouver.

— Dimanche soir ? Bien, j’irai chez vous souper en famille.

L’on était à ce moment au milieu de décembre et l’hiver était arrivé pour de bon. La campagne était déjà toute couverte de neige depuis quelques semaines et le temps était froid, très froid.

Le dimanche convenu, il faisait une violente tempête. De sa fenêtre, le vieux regardait la neige qui tombait, poussée, charriée par le vent du nord. Il gardait le silence. Lorsque Zéphirine ouvrit l’armoire pour mettre la table pour le repas du soir, il annonça simplement : Ne mets pas d’assiette pour moé. Je soupe chez François.

Stupéfaite, la fille le regardait, ne comprenant rien à cette nouvelle.