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LE DESTIN DES HOMMES

ben de valeur de toujours se tromper, de payer pour les autres… C’est ben de valeur…

Et le vieux baissa la tête, accablé. Il était bien éprouvé. La soirée s’acheva silencieusement.

Le père Gédéon coucha sur une paillasse de feuilles de blé d’Inde, dans un vieux sofa. Avant de sombrer au sommeil, il songea que ce pauvre Prosper Dupuis devait mal dormir cette nuit-là.

Le lendemain, après le déjeuner, le vieux Gédéon annonça à son hôte :

— Aujourd’hui, je vais aller voir Arsène Gibeau.

— Arsène Gibeau ?

— Oui, Gibeau, le coq de la paroisse, comme on disait dans le temps.

— Ben, le coq de la paroisse, il ne chante pas fort aujourd’hui et il ne rend personne jaloux. Il finit ses jours à l’hospice.

— À l’hospice ? Tu m’dis pas ?

— C’est comme je te l’affirme. Tu sais, il a toujours voulu faire le gros. Il dépensait, il dépensait comme s’il avait été le premier ministre. Ainsi, il s’est mis dans les dettes jusqu’au cou et il a perdu tout ce qu’il avait. Quand sa femme est morte, il n’a pas été capable de payer pour la faire enterrer. Ce sont les voisins qui se sont cotisés pour ça. Pis, ses enfants étaient partis depuis des années et on ne sait pas où ils sont. Lui, comme il n’était plus capable de travailler, on l’a placé à l’hospice.

— Misère de misère ! s’exclama le vieux Gédéon d’un ton de lamentation, je n’irai pas le voir, ça me ferait trop mal au cœur.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ainsi, de porte en porte, de table en table, le père