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LE DESTIN DES HOMMES

enfin l’impression d’être riches pour un mois ou deux. Dame, quand on est habitué à vivoter, à dépenser seulement quelques sous par jour pour sa pitance et qu’il nous tombe subitement $150.00 dans la main, l’on peut avec raison se sentir heureux. Elles pensaient ces choses les vieilles en attendant leur compagne. La femme au chapeau rouge parut, tenant en main une forte liasse de billets de banque.

— Je vous paie le souper ce soir, annonça-t-elle, et nous allons descendre en ville en taxi. Allez en retenir un, fit-elle en s’adressant au trio. Nous partagerons l’argent dans la minute. Attendez-moi un instant. J’ai eu une si forte émotion qu’il faut que j’aille aux cabinets.

— J’y vais aussi, fit la vieille de soixante-seize ans.

— Moi de même, annonça celle au boléro rouge feu.

— Moi, je vais retenir la voiture, déclara la vieille aux deux petites nattes postiches.

Alors, la femme au chapeau rouge et deux des vieilles entrèrent dans la chambre de toilette et les portes de trois cabines se refermèrent sur elles. Les deux vieilles sortirent au bout d’une minute. Soulagées, joyeuses, elles attendaient côte à côte l’apparition de leur compagne. Celle-ci tardait. Une couple de minutes s’écoulèrent.

— Venez-vous ? questionna impatiente la vieille de soixante-seize ans. Mais aucune voix ne répondit.

Soudain alarmée, la vieille essaya la porte. Celle-ci s’ouvrit, mais la cabine était vide. La femme au chapeau rouge était disparue, envolée.

La troisième vieille les rejoignait à ce moment.

— Arrivez, dit-elle, le taxi nous attend.

Mais les deux autres étaient muettes de stupeur, absolument figées, avec une expression de navrement sur la figure.