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Page:Laberge - Peintres et écrivains d'hier et d'aujourd'hui, 1938.djvu/68

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le premier à percevoir sa coloration et à la rendre sur ses toiles. Rapidement, tous les autres peintres l’imitèrent.

Courageusement, Cullen travaillait, luttait, s’affirmait. Depuis nombre d’années, il était le principal exposant au Salon du printemps. Il avait changé d’atelier et s’était niché tout en haut d’un vieil immeuble en pierre, No 3, Place Beaver Hall. L’artiste avait là son logis et son atelier qu’il avait su rendre fort intéressant. Fréquemment, l’hiver, après le journal, je l’allais voir lorsqu’il faisait trop sombre pour travailler. Parfois, il me parlait de son enfance, de sa mère vaillante et courageuse qui l’avait élevé et avait durement travaillé. Plus rarement, il disait un mot de son père resté à Terreneuve. Quelques fois, il rappelait ses jours d’école, son amour pour le jeu de football, les quatre années qu’il avait passées chez Gault Bros où il était entré à quatorze ans et d’où il était sorti quatre ans plus tard alors qu’il recevait le fabuleux salaire de $4 par semaine. « Non, je n’étais pas né pour le commerce, disait-il, mais tout de même, je n’ai pas tout à fait perdu mon temps à cette époque, car je suivais le soir les cours de sculpture de Philippe Hébert au Monument National. Je fis même le buste de mon patron ce qui me rapporta $40. Voyant que ma place n’était pas dans les affaires, j’abandonnai mon emploi pour m’occuper exclusivement de sculpture. » Il s’arrêtait là dans son récit, mais le reprenait un autre jour. En vérité, une histoire bien intéressante. Comme il venait de quitter l’établissement de Gault Bros, sa mère mourut, lui laissant un peu d’argent. Pas une fortune, certes. N’ayant plus rien pour le retenir ici, Cullen fila à Paris. Là, il réalisa que sa vocation était la peinture et non la sculpture. Avec enthousiasme, il se mit à l’étude. Cullen était un artiste, mais c’était aussi un garçon sérieux et raisonnable. En partant, il avait fait ses calculs. Avec le pécule dont il disposait, il pouvait vivre pendant cinq ans en dépensant $30 par mois. Ce montant représentait sa chambre, ses repas, ses habits, ses cours, son matériel de peinture. Et pendant tout son séjour en France, il fit comme il avait décidé. Bien qu’il fut à Paris, il ne commettait pas d’extravagances.