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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

Trefflé était placier dans un cinéma à un salaire nominal, Léon accrochait quelques piastres à jouer au baseball pour le club du restaurant Aux Éclairs, et Clément se cherchait vainement une place. Quant à René, il avait encore deux ans pour finir son cours à l’école, mais cela ne le tentait pas de se rendre jusqu’au bout. Il était fatigué d’étudier. Lorsqu’il annonça à sa famille qu’il allait entrer à l’épicerie Péladeau, personne ne fit d’objections. Au contraire, les parents furent enchantés. René commença à travailler à trois piastres par semaine. Naturellement, parce qu’il était le plus jeune, on lui arracha son argent pour vivre.

René passa dix ans dans cette épicerie puis elle fut vendue et il dut partir. À ce moment-là, il gagnait quatorze piastres par semaine. Maintenant, il était un homme, ayant tout près de vingt-quatre ans. Pendant ces années, la famille s’était éparpillée. Le père et la mère étaient morts et les enfants avaient pris chacun leur bord. Aucun n’était en train de faire fortune. Presque tous menaient une existence précaire. Parfois, ils se rencontraient par hasard, mais chaque jour de l’an les voyait réunis, pour quelques heures, chez l’oncle Placide, un malin dénué de scrupules qui, au moyen de manœuvres plus ou moins honnêtes, avait réussi à devenir propriétaire d’une maison de trois logis.

Au sortir de chez Péladeau, René chôma pendant deux mois, puis il entra à l’épicerie Bougie, mais là, il ne recevait que douze piastres. Au bout d’un an cependant, il avait repris son ancien salaire. Il gagnait quatorze piastres par semaine. À trente ans, alors qu’il était arrivé à obtenir vingt-deux piastres, il se maria. Il épousa une veuve de vingt-sept ans. Ce qui l’avait décidé, c’est qu’elle lui avait déclaré qu’elle ne pourrait avoir d’enfants ayant