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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

— Qu’est-ce que tu fais ? continua-t-il, pendant que le passant tirait ses premières bouffées.

— Ce que je fais ? Je fais rien, je suis chômeur. Et c’est pas un métier commode. On prend pas toujours ses aises comme on voudrait. J’peux ben vous dire une chose. C’est que la nappe n’est pas mise tout le temps trois fois par jour. Il y a des moments où c’est dur. Et vous, travaillez-vous ?

— Moi ? J’suis chômeur comme toi. Ça fait deux ans que j’travaille pas.

— Vous avez pourtant pas l’air d’un homme qui en arrache.

— Ah oui, j’m’arrange pas trop mal. Tiens, viens boire un verre de bière.

Et prenant son compagnon par la large manche de son pardessus, il l’attira à côté de lui.

— C’est tout près, c’est sur la rue Napoléon, dit-il.

Les deux hommes marchaient côte à côte, l’un vanné et l’air d’une loque, l’autre la figure et la voix heureuses.

— Tiens, entre, fit ce dernier en ouvrant une porte. Maintenant, suis-moi, continua-t-il, en le précédant dans un étroit couloir.

Ils arrivèrent dans une petite cuisine.

— C’est pas chez le roi, dit-il, mais on vit bien.

Quatre ou cinq bouteilles vides étaient sur la table et il y en avait deux caisses intactes dans un coin. L’hôte emplit deux verres.

— Tiens, bois ça !

Docile, l’invité ingurgita quelques gorgées de la boisson mousseuse.

— C’est bon, fit-il, en s’essuyant la bouche avec un mouchoir outrageusement sale. Ah oui, il y avait si long-