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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

d’élite ; à peine supérieure à ses élèves, mais elle avait l’âge, l’expérience et le costume ; c’était suffisant. D’ailleurs, elle enseignait parfaitement le catéchisme et les prières aux enfants. Elle avait des yeux gris sans expression, une grosse figure ronde dont la chair molle et flasque remuait comme de la gélatine à ses moindres mouvements. Ses lèvres décolorées n’avaient pas un dessin ferme ; elles n’avaient pas cette courbe pleine qui fait le charme d’une figure. La bouche de sœur Sainte Cadie avait une ligne un peu sinueuse et elle semblait une chose faite pour pisser. D’ailleurs, elle était sans vanité.

Le jeudi suivant, sœur Sainte Cadie rappela à ses élèves que le lendemain aurait lieu la première leçon de tricotage et leur réitéra l’ordre d’apporter de la laine et des broches.

Luce Galarneau dont la mère faisait des journées de ménage en ville lui avait parlé des leçons de tricotage qui devaient commencer le vendredi et lui avait demandé de la laine. Soucieuse, la mère avait poussé un profond soupir en regardant son enfant. Dieu, que l’argent était rare ! Il fallait payer le loyer, le chauffage, l’éclairage, la nourriture pour elle-même et ses trois enfants, sans compter une piastre et demie par semaine à une voisine pour garder sa plus jeune, une bambine de trois ans. La plus grande partie des vêtements de la famille lui était donnée par les dames pour qui elle travaillait. Malgré cela, disait-elle, elle ne pouvait joindre les deux bouts. Et en elle-même, elle blâmait son sans cœur de mari, un fainéant et un ivrogne qui l’avait abandonnée.

Et la pauvre femme se désâmait pour gagner sa vie et celle de ses petits.

— Je ne peux t’acheter de laine cette semaine, répondit-elle à Luce. Un peu plus tard, j’essaierai.