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Page:Laboulaye - Études sur la propriété littéraire en France et en Angleterre.djvu/25

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La décision de la Commission est d’autant plus singulière que la propriété littéraire avait été très-habilement défendue par M. de Lally-Tollendal et M. Auger, de l’Académie française. L’opinion de M. Auger est ce que je connais de plus sensé et de plus complet sur la question, et comme elle est perdue dans un recueil peu commun, je crois qu’il est bon de la reproduire ici :

Un homme conçoit l’idée d’un ouvrage littéraire ; il médite son sujet, il le féconde, il l’exécute enfin en lui donnant cette forme de la diction sous laquelle il doit le communiquer aux autres esprits. Quoi qu’on puisse dire de la diffusion des lumières, de la communauté des idées et des faits, le tout qui résulte de cette série d’opérations est certainement un produit des facultés de l’auteur, le plus direct, le plus personnel, le plus exclusif qu’on puisse imaginer. Pour soutenir le contraire, il faudrait oser dire qu’Athalie n’appartient pas à Racine, Tartufe à Molière, les Lettres provinciales à Pascal, et le Discours sur l’histoire universelle à Bossuet. L’ouvrage dont je parle a été tracé avec la plume sur le papier ; sous cette forme de manuscrit, il n’est pas seulement une propriété spirituelle, il est aussi une propriété matérielle, une sorte de meuble, d’effet, qui appartient uniquement à l’auteur, dont il peut disposer à son gré, et qui doit après sa mort appartenir à ses héritier. De toute propriété on peut tirer un lucre, un avantage, soit en vendant les fruits, soit en louant la jouissance. Certes, l’auteur, le propriétaire du manuscrit peut le prêter successivement à dix, à vingt, à cent, à mille personnes, et exiger de chacune d’elles une rétribution pour le plaisir ou l’instruction qu’il lui aura procurée. En quelques mains que le manuscrit se trouve, il ne cesse pas d’être la propriété de l’auteur.

Ce mode de communication est long et incommode. Heureusement, un art merveilleux, inventé au quinzième siècle, donne le moyen de faire, promptement et à peu de frais, un grand nombre de copies du manuscrit, qui peuvent être distribuées en même temps, à toutes les personnes qui veulent goûter et payer la jouissance de l’ouvrage. Si l’auteur possédait les instruments et connaissait les procédés de cet art, il pourrait fabriquer lui-même ses copies ; s’il avait l’habitude et les moyens du négoce, il pourrait lui-même les vendre ; mais il ne peut ni l’un ni