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Page:Laboulaye - Études sur la propriété littéraire en France et en Angleterre.djvu/44

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commentaire, notre histoire, etc., vu que, d’ordinaire, il y a plus en cela du bien d’autrui que du leur[1]. »

Comme moraliste, Pascal a raison ; la modestie convient aux auteurs, et il est vrai que nos idées nous ont été fournies par l’éducation et par la lecture. Nous travaillons avec les pensées et les découvertes des générations qui nous ont précédés. Mais quoi ! n’en est-il pas ainsi dans toutes nos œuvres ? Quand nous défrichons le sol, n’est-ce pas avec une invention admirable mais fort ancienne qu’on nomme la charrue ? Cette brouette qui diminue nos fatigues et facilite le transport des matériaux, n’est-ce pas Pascal qui l’a imaginée ? Ces pommes de terre que nous semons, ne les a-t-on pas apportées d’Amérique ? Ce cerisier, ne le devons-nous pas à Lucullus ? Qu’on admette cet argument, qu’on ne reconnaisse plus mon travail, sous prétexte de secours que me donne l’expérience, on va droit au communisme. Si, au contraire, on le rejette pour la propriété foncière, comment l’acceptera-t-on pour la propriété littéraire ? Je cherche la différence et ne la trouve pas.

Les idées, dit-on, sont un fonds commun que je m’approprie au préjudice de la société. Je le nie ; je me sers des idées qui sont en circulation, mais je n’en fais pas ma propriété. Les idées sont de ces choses communes qu’il est aussi impossible de s’approprier que l’eau de l’Océan ou l’air du ciel. L’homme qui tire du sel de la mer, celui qui emploie l’air à faire tourner un moulin, ont su se créer une richesse particulière ; cela empêche-t-il personne d’user de ces réservoirs inépuisables, et parce que l’air appartient à tout le monde, chacun a-t-il le droit de s’emparer de mon moulin ?

Il en est de même pour un livre, avec cette différence

  1. Pascal (éd. Havet), art. XXIV, 68, p. 343.