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Page:Laboulaye - Études sur la propriété littéraire en France et en Angleterre.djvu/47

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L’objection est spécieuse, elle a arrêté M. Bluntschli[1] ; néanmoins, je ne la crois pas fondée. Qu’un professeur ait droit d’empêcher qu’on ne reproduise ses paroles et ses pensées, cela me paraît juste ; mais ce n’est pas comme propriétaire qu’il agit en pareil cas. Ce n’est point d’un préjudice matériel qu’il se plaint, encore bien que subsidiairement ce préjudice puisse entrer dans sa pensée, s’il veut un jour faire un livre avec ses leçons. Et, en effet, alors même que je ne songe nullement à faire imprimer mon cours, ni même a le rédiger, alors même que la loi ne reconnaît pas de propriété littéraire, mon droit est le même, et, au fond, c’est celui de tous les citoyens. Il ne peut pas être permis de nous prendre nos paroles ou nos pensées pour en faire un objet de commerce ; c’est notre honneur, c’est notre réputation que la loi protége ; c’est bien là une propriété, et la plus respectable de toutes ; mais ce n’est pas une propriété littéraire.

Il est évident, au contraire, que la forme donnée à nos idées n’entre dans le commerce que lorsqu’elle a pris corps dans un manuscrit ou dans un livre. C’est alors qu’elle devient une véritable propriété. J’ai traité avec un théâtre pour lui donner une pièce ; au terme fixé, je n’ai rien écrit, cependant ma tragédie est achevée ; je la garde tout entière dans ma mémoire, comme faisait Casimir Delavigne ; je l’ai récitée à des amis ; que peut me demander le théâtre ? rien que des dommages-intérêts. Mais si j’ai rédigé mon manuscrit et que je ne veuille pas le livrer, n’aura-t-il pas le droit de le saisir et d’en user ? N’y a-t-il pas là un objet certain et dont le tribunal peut au besoin ordonner la délivrance.

On insiste et l’on dit : Supposons que le manuscrit soit

  1. Deutsches Privatrecht, § 56 ;