tage pour répandre les livres, il est évident que pour faire valoir la richesse qu’il croit avoir dans les mains, un propriétaire se remuera plus que ne fait un spéculateur qui ne songe qu’à des entreprises prochaines, à des affaires promptes et faciles. Un héritier de Montesquieu calculera sur une vente de vingt ans, et se contentera d’un revenu lent et sûr ; un éditeur calcule sur une vente plus rapide. Le seul intérêt public que je reconnaisse, c’est un intérêt littéraire. Les chefs-d’œuvre deviennent avec le temps un sujet d’études. Au bout d’un siècle, ce sont des monuments historiques ; on ne les lit pas seulement, on les annote, on les commente, on les cultive. Serait-il juste de mettre à la merci d’un éditeur cette part si importante de l’œuvre littéraire d’une nation ? Non, sans doute, et cependant, si je publie mes notes sur Corneille sans les joindre au texte, qui les achètera ? et s’il me faut entrer en arrangement avec le libraire propriétaire, qui sera le maître de mon travail ? lui ou moi ? Il y a là une difficulté sérieuse. On pourrait la trancher en limitant à un siècle la jouissance de l’éditeur, durée plus que suffisante pour l’indemniser, et en même temps pour assurer à l’héritier qu’il recevra la pleine valeur de sa propriété. Toutefois, à ce moyen je préférerais une disposition législative qui fit la part des droits de chacun. Nous n’avons que trop de penchant à entamer le droit de propriété, et alors même qu’il amènera quelques inconvénients, il me semblera toujours plus sage de le régler que de le détruire.
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