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Page:Laboulaye - Études sur la propriété littéraire en France et en Angleterre.djvu/62

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que le public charmé porte son obole au talent, et enrichisse les héritiers d’un grand homme ? Craint-on, qu’un Corneille ne perde son génie, parce qu’il ne sera pas assailli par la misère, et qu’il ira de pair avec un avocat ou un médecin ? Cuvier renouvelle les sciences naturelles, l’État le paye pour enseigner publiquement ses découvertes : rien ne semble plus juste. Ces découvertes, il les imprime, et les offre non plus à quelques auditeurs, mais au monde : dès ce moment, on ne lui doit plus rien ? Où est la justice ? Où est l’équité ?

Enfin, et au risque de passer pour un esprit vulgaire et grossier, je dirai que ceux qui attaquent la propriété littéraire ne se doutent pas du rôle qu’elle joue de notre temps. Ils ne voient jamais que les grands poëtes, les génies supérieurs ; c’est le petit nombre dans la littérature comme ailleurs. Qu’on prenne le Journal de la librairie, on saura bien vite à quoi s’en tenir sur ce point. Le gros de l’armée littéraire ne songe pas à la gloire, et travaille pour l’utilité. Ceux qui écrivent pour nos enfants, grammairiens, auteurs de dictionnaires, compilateurs d’histoire et de géographie ; les médecins, les architectes, les ingénieurs, les chimistes, les physiciens, les géomètres, les agronomes, les jardiniers, etc., etc., tout ce monde-là imprime des milliers de volumes, et jette des millions dans la circulation, sans rien espérer que l’estime des honnêtes gens, et un salaire proportionné à la peine. Ce n’est pas avec des grands mots qu’on peut payer ces travaux obscurs, mais utiles, qui demandent tant de patience et de vertu.

Il est étrange qu’on en soit encore à comprendre que, dans un pays libre et civilisé, rien n’est plus digne d’encouragement que l’industrie volontaire de tous ces hommes qui se vouent à l’éducation perpétuelle de la société. Les avan-