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quelle vertu magique a donc cette idole pour qu’on lui sacrifie sans pitié, depuis quarante ans, la liberté du professeur et celle de l’étudiant, en un mot, la science même 1

Un autre inconvénient non moins sérieux, c’est que dans une École aussi nombreuse que celle de Paris, les examens enlèvnt au professeur la plus grande partie de son temps. Je ne crois pas exagérer en disant qu’ils lui prennent trois mois entiers dans l’année[1], trois mois d’une occupation inféconde et fatigante outre mesure. Que revient-il à l’étudiant, au professeur, à l’État, d’une pareille organisation ? Le résultat est assurément hors de proportion avec une telle déperdition de forces, surtout quand on songe que le quart du temps perdu à l’examen suffirait pour doubler l’enseignement de la Faculté !

On a si bien senti que le métier d’examinateur était un travail pénible et en dehors des fonctions véritables du professeur, qu’on a attaché à l’examen une indemnité qui, à la fin de l’année, forme un supplément de traitement assez considérable. L’idée de rémunérer le professeur par un traitement proportionnel à la peine qu’il se donne est excellente, et le traitement proportionnel est l’une des causes de la prospérité des Universités allemandes, comme nous le dirons plus loin. Mais il est malheureux qu’on ait appliqué l’indemnité à un travail aussi stérile. C’est à enseigner, et non point à examiner qu’il faut mettre la gloire et l’intérét du professeur.

Il y a d’ailleurs, dans cette organisation, un vice qui suffirait pour attirer l’attention du gouvernement. Le nombre des examens étant peu variable, la création d’une chaire nouvelle, en amenant

  1. Il y a eu à Paris, en 1811, quatre mille cinq cent trente-un examens et thèses. et quatre mille cent trente-huit en 1844. À trois professeurs par examen, cela fait pour chaque professeur plus de sept cents examens, ou sept cents heures de travail utile. En d’autres termes, sur la somme de temps consacrée à l’État par le professeur, les sept huitièmes environ sont perdus pour tout le monde, et il se trouve qu’un professeur allemand, qui enseigne seize heures par semaine, est en réalité plus libre et moins chargé qu’un membre de la Faculté de Paris donnant trois heures de leçons. Quelle différence cependant dans le résultat final.