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fondes, d’ordre métaphysique, préparées par la pensée hellénique. En voici quelques spécimens.

D’abord l’idée de la création ex nihilo. Qu’un démiurge divin eût modelé une matière incréée, cette hypothèse n’aurait point fait scandale. Mais qu’il eût tiré cette matière du néant, cela paraissait proprement inintelligible. — L’idée d’un Médiateur entre Dieu et l’homme était faite également pour déconcerter même les disciples du pieux Platon. L’homme soucieux de s’orienter vers le divin n’avait besoin que de lui-même. Qu’il prît conscience de ses aspirations profondes, qu’il résolût d’y satisfaire, son vouloir personnel devait suffire à l’exhausser vers l’immortalité. À quoi bon un Sauveur, si l’homme peut se sauver soi-même ? Et le moyen qu’un Dieu s’incarne dans une chair périssable, sans se dégrader à ce contact ?

Une autre antinomie portait sur la conception même de l’ordre universel. Écoutons Émile Bréhier, qui en explique clairement les termes :

« Le Cosmos des Grecs, écrit-il[1], est un monde pour ainsi dire sans histoire, un ordre éternel où le temps n’a aucune efficace, soit qu’il laisse l’ordre toujours identique à lui-même, soit qu’il engendre une suite d’événements qui revient toujours au même point, selon des changements cycliques qui se répètent indéfiniment. — L’idée inverse, qu’il y a dans la réalité des changements radicaux, des initiatives absolues, des inventions véritables, une pareille idée a été impossible avant que le christianisme ne vienne bouleverser le Cosmos des Hellènes. »

À ce prix, les penseurs païens pouvaient bien parler de la

  1. Revue Philosophique, 1927, p. 8 = Hist. de la Philosophie, I, p. 489.