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Page:Labriolle - La Réaction païenne, 1934.djvu/424

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En premier lieu, les chrétiens n’étaient pas aussi démunis qu’il affectait de le dire, au point de vue purement intellectuel, compte tenu de la qualité de la culture de ce temps. Le ive siècle assistait, il est vrai, à une véritable renaissance de l’éloquence païenne. À Athènes, à Constantinople, à Nicomédie, à Antioche et dans nombre d’autres villes, des maîtres réputés attiraient par leur habileté de virtuoses de la parole tout un peuple d’étudiants. Amour de la dialectique, amour du beau langage, ces deux traits caractéristiques de l’esprit hellénique prenaient une vigueur et un relief nouveaux. Mais, à part quelques exceptions, la plupart des protagonistes du christianisme, un Athanase, un Basile, un Grégoire de Nazianze, un Grégoire de Nysse, un Jean « Chrysostome » — presque tous hommes faits[1] à l’époque où écrivait Julien — avaient été modelés par les mêmes disciplines que les rhéteurs les plus écoutés. Julien et ses fidèles ne voulaient voir dans le christianisme qu’une folle gageure de déraison et de désordre social : ils le tenaient pour une foi d’illettrés. Mais ils fermaient les yeux à ce fait que, pour le goût et le savoir, l’élite de leurs adversaires les égalait ; que l’éloquence chrétienne, nourrie de controverses, de célébrations liturgiques, des grands souvenirs du passé sanglant de l’Église, y trouvait une matière surabondante dont la leur était frustrée ; que dans tous les domaines, enfin, — traité dogmatique et polémique, histoire, chronologie, critique textuelle, poésie même — l’esprit chrétien s’était approprié les méthodes helléniques, sans que son originalité foncière eût subi, du fait de cet amalgame, aucune altération grave[2].

  1. Jean, né en 344, n’avait qu’une vingtaine d’années à la mort de Julien.
  2. Qu’il y ait eu parfois, dans les milieux chrétiens, certains fléchissements