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II

À partir de 160 environ, la question chrétienne se pose donc devant tout esprit réfléchi, pour peu qu’il juge impolitique d’ignorer les réalités de l’heure, ou qu’il ne s’en laisse pas détourner par les jeux abstraits de la rhétorique à la mode.

Dès cette époque, la propagande chrétienne se heurte à la contre-action de la philosophie.

On a souvent remarqué le rôle important que jouaient les philosophes dans la société de cette époque. Ils avaient perdu l’ambition de déchiffrer les grands problèmes, et se détournaient révérencieusement de la métaphysique : « Une intelligence figée en images qui s’imposent et tout l’essor intellectuel arrêté, voilà, remarque É. Bréhier[1], un trait général de cette période. Il s’ensuit que, à certains égards, la philosophie ne fournit plus que des thèmes, et des thèmes si usés que l’on ne peut les renouveler que par la virtuosité de la forme. » Mais là où la pensée païenne retrouvait son prestige et son efficacité, c’est dans l’ordre de la culture morale, dans le domaine de la perfection intérieure. Dès l’époque de Néron, en face des turpitudes impériales et de l’incertitude angoissante qui pesait sur tant de vies, une vague de découragement, de pessimisme avait submergé les âmes. Dans ce désarroi intime, beaucoup s’étaient bien trouvés d’avoir demandé à la philosophie, surtout au stoïcisme, un peu de lumière et de

  1. Hist. de la Philos., I, p. 417.