Page:Labriolle - La Réaction païenne, 1934.djvu/67

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Je sais bien qu’il y a des gens, Æmilianus en tête, pour trouver très spirituel de railler les choses divines. Car si j’en crois ceux des habitants d’Œa qui le connaissent il n’a jamais, à l’âge où le voici, ni prié aucun dieu, ni fréquenté aucun temple ; et quand il passe devant un édifice religieux, il croirait pécher s’il portait sa main à ses lèvres en signe d’adoration. Même aux divinités champêtres, qui lui donnent la nourriture et le vêtement, il n’offre jamais les prémices de ses moissons, de ses vignes ou de ses troupeaux ; il n’y a sur ses terres aucun sanctuaire, aucun emplacement ou bois consacré. Et qu’ai-je à parler de bosquets et de chapelles ? Ceux qui ont été chez lui affirment n’avoir jamais vu sur son domaine, fût-ce une pierre ointe d’huile ou un rameau orné d’une guirlande. Aussi lui a-t-on donné deux sobriquets : celui de Charon, pour la laideur infernale de son visage et de son âme, et un autre, qu’il préfère, et que lui vaut son mépris des dieux, le surnom de Mézence[1].

Que l’accusation d’impiété ait été souvent portée contre les chrétiens, surtout à partir du milieu du second siècle, le fait est certain, et Harnack l’a mis en pleine lumière dans un opuscule spécial[2]. Les apologistes s’en indignent[3], et observent qu’à ce prix bien des philosophes, contempteurs des cultes populaires, se rendent coupables du même crime. C’est qu’ils en connaissaient la nocivité : « L’accusation d’athéisme, a remarqué E. Renan[4], entraînait la peine de mort comme le parricide, et elle ameutait à la fois toutes les superstitions… Les épicuriens et les chrétiens étaient à cet égard confondus, et leur présence dans une ville était un épouvantail, qu’on agitait pour soulever la foule. » « La tolérance du paganisme, écrit Drachmann[5], ne s’étendait pas à ceux qui niaient les dieux… Mais en fait il y eut

  1. Apol. lvi, 3 et s. (trad. Vallette) : « l’impie » Mézence, de Virgile.
  2. Der Vorwurf des Atheismus in den drei ersten Jahrhunderten (Texte und Unters. xxviii, 4 ; Leipzig, 1905).
  3. Par ex. saint Justin, I, 6 ; 13 ; Athénagore, III ; Clément d’Al., Strom., VII, 1, 1 ; Arnobe, III, 28, etc.
  4. Les Évangiles, p. 307.
  5. Atheism in pagan Antiquity, Londres, 1922, p. 11.