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Page:Labriolle - La Réaction païenne, 1934.djvu/98

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faisaient profession de penser lui apparaissaient comme des exercices absurdes et décevants. Il passa sa vie à dire leur fait aux constructeurs de systèmes, aux prédicateurs de morale, aux prometteurs de félicité.

Né à Samosate, en Syrie, vers 125, il voyagea assez longtemps et, vers 165, il s’installa à Athènes, où il devait demeurer une vingtaine d’années. Il avait d’abord étudié la rhétorique, puis s’était tourné vers la philosophie. Ayant senti la frivolité de l’une, les inconséquences de l’autre, il résolut d’en dégoûter ses contemporains, pour autant qu’ils voudraient bien l’écouter, et de leur conseiller une vie toute simple, toute vraie, celle que vit en somme le commun des hommes, qui ne se soucie guère des absurdes complications des intellectuels.

Le fond de son esprit, c’est une défiance extrêmement ombrageuse du charlatanisme sous toutes ses formes. Il en flaire partout les manigances. Les tératologues, les arétalogues, les thaumaturges n’ont pas d’ennemi plus clairvoyant et plus acharné que lui. Quiconque aborde un ordre de questions ou de sentiments qui sort de l’usage le plus courant et de la moyenne la plus ordinaire lui est suspect de vouloir en imposer, soit pour le plaisir de duper son prochain, soit pour quelque inavouable profit. Lucien ne pousse pas toujours à bout cette défiance instinctive, mais on le voit toujours près d’y céder. Il distribuerait volontiers l’humanité en deux classes, les dupeurs et les dupés, avec un tout petit lot d’amis sincères de la vérité et de la raison, parmi lesquels il se range. Et il n’a pas plus de considération pour les dupés que pour les dupeurs, car la sottise lui paraît encore plus pitoyable que la canaillerie. Le mal dont souffre son temps, c’est, selon lui, un