Page:Lacasse - Une mine de souvenirs, 1920.djvu/13

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donc Zacharie, c’est le plus fin de la bande ». Ces mots, « le plus fin de la bande », restèrent gravés dans mon esprit, et je ne sais si jamais ils en partiront. Mon frère Joseph crut trouver une explication de ma supériorité dans le fait que j’avais plus faim qu’eux, plus faim et plus fin, d’après lui, n’étaient pas synonymes. En effet, dans ma naïveté, je croyais que le four fait, je pouvais y faire cuire de la bouillie. Mon illusion ne dura pas longtemps, car tu passas par là et d’un coup de pied tu gâtas toute ma cuite.

Je me rappelle aussi que c’est toi qui me montrais mes prières quand marraine était occupée, et qu’une fois tu me donnas une tape parce qu’un beau matin je ne voulais pas prier le bon Dieu avant d’aller voir un petit mouton dont Céline et Lucie annonçaient la naissance au son de trompette. Maman fut obligée d’intervenir : je me résignai à m’agenouiller, mais après chaque Notre Père, au lieu d’Ainsi soit-il, je terminais invariablement : « Est-ce que j’irai voir le petit mouton ? » Enfin la prière est faite. Je pars, je cours, je vole, tu me suivais en ballon. La porte de la bergerie s’ouvre, je me précipite à travers le troupeau, je cherche un petit mouton. Mon empressement étonne les brebis, mes cris les effraient, et les voilà qui partent toutes en peur, qui se ruent les unes sur les autres,

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