Page:Lacaussade - Poésies, t1, 1896.djvu/297

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Le néant ! — autre énigme impossible à comprendre.
Certes, j’y voudrais croire et m’y réfugier !
Qui donc ayant vécu ne voudrait y descendre ?...
Oh ! s’éteindre à jamais, à jamais oublier !

Oublier ! ne plus voir les choses qu’on a vues :
Iniquité, mensonge, astuce, trahison !
Fermer son âme aux deuils des tendresses déçues,
Clore au dégoût son cœur et sa lèvre au poison !

S’affranchir de ces soifs que rien ne désaltère :
La justice, le vrai, le beau ! Ne plus mourir
Le rêve d’un bonheur qui n’est pas de la terre !
Ne plus aimer, ne plus haïr, ne plus souffrir !

Échapper à jamais à ses propres bassesses,
Au mépris de soi-même, et peut-être au remords ;
Fuir des vivants menteurs les menteuses promesses ;
Ne plus se souvenir, hélas ! même des morts !

Se reposer enfin des hontes de la vie,
Perdre la conscience, enfin, d’avoir été !
Si tu l’as ce pouvoir qui fait que tout s’oublie,
Reprends-moi dans ton sein, ô Néant ! ô Léthé !

Mais tu n’es, ô Néant ! toi-même qu’un mensonge,
Par la désespérance et le doute inventé.
Un invincible instinct te réprouve et nous ronge :
Tout ce qui vit aspire à l’immortalité.