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Page:Lacaussade - Poésies, t1, 1896.djvu/40

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Malheureux ! j’ai placé mes rêves infinis
Dans l’être au cœur banal… Mes rêves sont punis.
Eh bien, soit ! mais, ô Dieu ! l’amie et la complice
Devait-elle être encor l’instrument du supplice ?
Pour frapper d’un seul coup et l’esprit et la chair,
Ne pouvais-tu choisir, du moins, un bras moins cher ?
La blessure insondable, intime, inexprimée,
Tu nous la fais avec la main la plus aimée !
Est-ce là nous guérir ? Ta cruelle amitié,
Comme la femme, ô Dieu ! serait donc sans pitié !…
Il est des coups affreux, inattendus, rapides,
La foudre en plein azur ! sous l’éclair abhorré
Notre raison s’égare et nous tombons stupides,
Muets d’horreur, l’esprit d’hébétement navré !
On a cru réchauffer contre son cœur un ange,
Et l’ange tout à coup en vipère se change,
Et mord !… et de la plaie ouverte à notre flanc,
La foi, l’amour, l’espoir coule avec notre sang !…

Avec mon cœur, ô toi qui m’as pris mon génie,
Contemple ma ruine et mon abaissement.
Ma détresse est ton œuvre, et dans mon insanie,
De mes jours avortés j’ai l’amer sentiment.
Oui, mon âme est tombée ! oui, ma vie est perdue !
Oh ! si j’avais le mot qui guérit ou qui tue !
Rassasié d’angoisse, indigné d’en gémir,
Ce lâche amour, mon cœur le voudrait revomir !
Vains efforts ! lutte et deuil insensés ! noire offense
Qui, changeant tout pour nous, nous rend tout odieux !