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Page:Lacaussade - Poésies, t1, 1896.djvu/66

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C’est bien ce fou sublime aux chimères troublées,
Le fervent sectateur des Neuf Déguenillées.
Des humaines douleurs cumulant les trésors,
Aux maux de l’âme il joint les misères du corps.
Faible et nu, contre lui tout s’arme et le torture.
Il t’accuse à bon droit, ô marâtre Nature !
Quel que soit le limon dont l’a pétri ta main,
Le poète, à coup sûr, n’est pas ton Benjamin.
Bonne à tous, pour lui seul imprévoyante ou dure,
Tu n’as point en souci les peines qu’il endure ;
Ton âme reste sourde au cri de ses besoins.
Chaque être, cependant, est l’objet de tes soins :
Le loup a la forêt, le lion son repaire ;
D’astuce tu pourvus la femme et la vipère ;
Prodigue aux plus cruels, tu donnas, à leur tour,
Sa forte griffe au tigre et son bec au vautour ;
D’un cuir chaud et velu tu revêtis l’onagre,
Et d’un manteau brodé le sénateur podagre ;
Dans sa robe de dards s’en va le hérisson ;
Sûr au moins d’un abri, rampe le limaçon ;
Quand elle a bu des fruits la sève parfumée,
Dans sa cellule dort la guêpe envenimée ;
Les rois, tes favoris, un globe dans la main,
Versent en paix le sang et l’or du genre humain ;
Le bureaucrate altier vit de réponses rogues ;
L’avocat vend des mots, le docteur vend des drogues ;
Pour piège et pour logis l’araignée a ses fils ;
Diplomate et renard trament des tours subtils ;
Le lièvre et le poltron, la duègne et la tortue