Page:Lacaussade - Poésies, t2, 1897.djvu/316

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Mais s’il faut ici-bas poursuivre mon épreuve,
Retremper mon esprit au creuset des douleurs
Et, vidant jusqu’au fond la coupe où je m’abreuve,
Vivre pour mériter, Seigneur, de vivre ailleurs ;

Que tes ailes du moins, invisibles égides,
Dans les assauts du doute abritent ma raison !
Maintiens-moi calme et ferme en mes espoirs rigides !
Dans ma nuit, montre-moi ton astre à l’horizon !

Que dans un siècle en proie aux basses frénésies,
L’amour du juste soit ma seule passion !
Que le succès du lâche et ses apostasies
Ne soient point pour mon âme une tentation !

Que le Protée impur, ce digne roi d’un monde
Où le droit n’est qu’un mot, où la force est la loi,
Que le fait triomphant, ce tentateur immonde,
Dans l’absolu du bien n’ébranle point ma foi !

Confessant l’avenir du sein de nos défaites,
Que je vive demain tel qu’hier je vécus !
Fidèle au sang versé par les martyrs-prophètes,
Que mon esprit toujours reste avec tes vaincus !

Mais sous l’onde acharnée où, troublé, je m’affaisse,
Si tu vois s’abîmer l’homme et son idéal,
Rappelle-toi, Seigneur, ce cri de ma faiblesse,
Le cri des humbles cœurs : « Délivrez-nous du Mal ! »