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Page:Lacerte - Bois-Sinistre, 1929.djvu/14

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BOIS-SINISTRE

— Je ne saurais le dire vraiment, répondis-je, en pleurant toutes mes larmes. Cela dépendra de… bien des choses, voyez-vous, Arthur.

— Combien je suis peiné de te voir partir, petite cousine ! dit Arthur. J’avais cru qu’en me mariant, je…

— N’entends-tu pas le sifflet de la locomotive, Arthur ? interrompit Mme Duverney. Tu ferais mieux de descendre du train immédiatement, mon garçon.

— Adieu, Mme Duverney ! Au revoir, Marita ! Bon voyage, toutes deux, et reviens-nous aussitôt possible, cousine… N’oublie pas de nous écrire, et bientôt, Marita chérie.

— Adieu, Arthur ! sanglotai-je.

Je pleurai longtemps, après le départ du train et Mme Duverney me laissa pleurer. Elle savait bien que les larmes que je versai me soulageaient le cœur. Cette bonne dame, au lieu de m’ennuyer avec de vaines paroles de consolation, fit semblant d’être absorbée dans la lecture d’une revue illustrée.

Mais je n’avais jamais voyagé de ma vie et bientôt, je m’essuyai les yeux et j’essayai de me consoler un peu en admirant le paysage vraiment admirable à travers lequel nous cheminions.

— Marita, me dit, soudain Mme Duverney, je ne t’ai pas parlé encore de la visite que j’ai faite, ce matin, aux demoiselles Brasier… Il n’était pas sept heures que je frappais à leur porte…

— Oh ! racontez-moi tout, tout ! Qu’ont-elles dit ? Ont-elles ri de moi ?

— Ri ? Certes, non ! Au contraire, ma pauvre enfant !… Elles ont beaucoup pleuré, toutes deux… Cette pauvre Mlle Agathe était inconsolable.

— Et elles ont promis d’être discrètes ?

— Bien sûr qu’elles ont promis ! Elles ne desserreront pas les dents sur… l’erreur que nous avions commise, toi et moi : nous pouvons, je sais, nous fier à leur discrétion.

— Ces bonnes demoiselles ! m’écriai-je.

— Elles aimeraient bien que tu leur écrirais de temps à autre. Je leur écrirais, moi, à ta place.

— Je ne manquerai pas de le faire, répondis-je.

— Tu seras heureuse avec moi, petite, j’en suis convaincue, continua Mme Duverney et avant longtemps, tu oublieras…

— Je l’espère… que je finirai par oublier, je veux dire ; mais, hélas ! j’en doute fort ! soupirai-je.

— « Le temps est un grand guérisseur », tu sais, Marita… et puis, tu es si jeune !… La jeunesse est le remède par excellence à presque tous les maux.

— Dans tous les cas, vous êtes bien bonne pour moi, chère Mme Duverney ! m’écriai-je, en pressant la main de ma compagne. Il me tarde vraiment d’arriver chez-vous ; quand arriverons-nous ?

— Nous arriverons à J… à cinq heures et demie, juste à temps pour le souper. Je suis de l’ancien temps, de l’ancien régime, tu comprends, Marita : d’ailleurs, je n’ai jamais pu digérer un dîner pris à sept heures du soir, jamais de ma vie ! Nous dinons à midi et nous soupons à six heures, dans ma maison ; tu finiras par t’y hahituer, toi aussi.

— Votre demeure est-elle bien éloignée de la gare, Mme Duverney ? demandai-je.

— Ma demeure en est à un quart d’heure de promenade, en voiture, à travers le plus beau paysage imaginable, me répondit-elle.

Le temps et le train semblait voler, littéralement, et bientôt, je m’aperçus que Mme Duverney commençait à collectionner ses bagages.

— Nous arriverons dans moins de dix minutes maintenant, me dit-elle ; la prochaine gare c’est J…

VIII

PELOUSES D’ÉMERAUDE


Une jolie et confortable voiture (louée, bien sûr me dis-je) nous attendait à J…, et un cocher à tête blanche accourut au-devant de Mme Duverney, aussitôt qu’elle mit le pied sur la plate-forme de la gare.

— Comment vous portez-vous, Madame ? demanda-t-il, en s’inclinant respectueusement devant Mme Duverney. Nous sommes heureux de vous voir de retour, Madame, bien heureux !

— Merci, Zeus !… Comment ça va-t-il, à la maison ? demanda ma compagne.

— Bien, très bien… Si vous voulez me donner vos chèques, je vais m’occuper de vos bagages tout de suite.

J… me paraissait être un bien joli endroit. Venant d’une toute petite ville, je