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BOIS-SINISTRE

Un dimanche, Mme Duverney insista à aller à la messe. J’essayai de la dissuader, car il pleuvait « à boire debout » ; une pluie froide qui semblait nous transpercer jusqu’aux os, et le vent était presque glacial, ce matin-là.

Nous partîmes pour l’église.

L’église, qui n’était chauffée que les dimanches, était comme une glacière et nous grelottâmes tout le temps de la grand’messe.

Lorsque nous fûmes de retour à la maison, Mme Duverney me dit :

— Marita, n’est-ce pas qu’il faisait horriblement froid dans l’église ?… Je suis transie jusqu’aux os !

— Il eut été préférable que vous ne sortiez pas aujourd’hui ; que vous restiez à la maison, chère Mme Duverney, répondis-je. Je crains fort que vous ayez pris froid, ajoutai-je, légèrement inquiète.

— Peut-être as-tu raison, ma chérie, fit-elle en frissonnant. Le fait est que j’ai trop froid pour me mettre à table, reprit-elle ; je ne me sens pas d’appétit… Je vais me jeter sur mon lit pour quelques instants.

Inutile de le dire, je l’accompagnai dans sa chambre, et quand je l’eus fait mettre au lit et couverte d’un édredon, je descendis à la cuisine.

— Prospérine, dis-je, Mme Duverney a pris le frisson je crois… L’église était bien froide et…

— Et Mme Duverney ne peut jamais se résoudre à manquer la messe, le dimanche ! Beau temps, mauvais temps, il lui faut aller à l’église !… s’exclama Prospérine. J’espère…

— Y a-t-il du cognac dans la maison, interrompis-je.

— Oui, Mlle Marita, il y en a une bouteille dans le buffet de la salle à déjeuner ; je vais aller la chercher.

Bien vite, j’eus préparé un verre de cognac et d’eau chaude, que je montai offrir à Mme Duverney.

— Ô Marita, que j’ai froid ! dit ma bonne vieille amie, lorsque j’entrai dans sa chambre.

— Voici qui va vous réchauffer, Mme Duverney, répondis-je en lui présentant le verre de cognac. Buvez-le, je vous prie.

— Qu’est-ce ? fit-elle.

— Ce n’est que du cognac et de l’eau chaude. S’il vous plaît le boire tandis qu’il est bien chaud !

Elle but le contenu du verre presque d’un trait.

— Merci, Marita chérie, dit-elle ensuite.

— Prospérine est à faire chauffer de l’eau, dans le moment, Mme Duverney, repris-je. Une bouteille d’eau chaude à vos pieds et bientôt, je le prédis, vous vous plaindrez que vous avez trop chaud, ajoutai-je en souriant, quoique je fusse fort inquiète.

Mais rien ne semblait chasser le froid du système de cette pauvre Mme Duverney, rien ! Elle eut de continuels frissons, et vers les cinq heures de l’après-midi, je crois qu’elle faisait de la température ; je devins très-effrayée.

— Me permettez-vous d’envoyer chercher le médecin, Mme Duverney ? demandai-je.

— Le médecin ?… Mais, pas du tout ! Pourquoi le médecin, je te le demande, Marita ? Je ne suis pas malade réellement !

Hélas, quant à moi, je savais qu’elle était bien malade ! Mais, cette pauvre vieille était quelque peu préjugé contre les médecins ; elle paraissait croire que rien que le fait d’en faire venir un, cela voulait dire qu’on était peut-être dangereusement malade.

Mais à sept heures, Mme Duverney eut un peu de délire et sa température monta d’une façon alarmante. Alors, je pris sur moi d’envoyer Zeus à la recherche du médecin de famille, le docteur Foret.

Lorsque le médecin fut arrivé et qu’il eut examiné sa cliente, il hocha la tête d’une manière peu rassurante et il eut l’air très grave. Le médecin et sa femme étaient de bon amis de Mme Duverney ; de fait, les seuls qui fussent reçus intimement aux Pelouses-d’Émeraude.

Mlle Marita, me dit-il, lorsque j’allai le reconduire à la porte, au moment de son départ, Mme Duverney est bien malade… très malade même.

— Mais, Docteur, m’écriai-je, elle était en parfaite santé hier… ce matin, je devrais dire !

— Oui, je comprends bien… Seulement, je crains fort qu’elle ait pris… son coup de mort, à l’église, ce matin.

— Son coup de mort, dites-vous ?… Oh ! Docteur Foret, sûrement, sûrement, vous exagérez ! Ma bonne amie ne peut pas