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Page:Lacerte - Bois-Sinistre, 1929.djvu/24

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BOIS-SINISTRE

lusion à la maladie de sa tante, il y annonçait son arrivée aux Pelouses-d’Émeraude pour le lendemain.

« Imaginez-vous, chère tante Charlotte, écrivait-il, qu’on m’a offert toute une semaine de congé que je me propose d’aller passer avec vous… si vous voulez bien me recevoir et que vous êtes sûre que je ne serai pas de trop. Je ne puis pas attendre votre réponse ; mais j’arriverai aux Pelouses-d’Émeraude mercredi soir probablement, le plus tard. Ainsi donc, au revoir !

Espérant vous trouver en excellente santé, ainsi que Mlle Marita, veuillez me croire toujours.

Votre neveu tout dévoué et aimant.

Philippe. »

Philippe va venir nous rendre visite ! Penses-y, Marita ! s’écria Mme Duverney après que je lui eus lu la lettre de son neveu. On lui a donné huit jours de congé et vient les passer avec nous ! Demain, il sera ici !

— Je suis si contente, chère Mme Duverney ! répondis-je. Je sais comme vous serez heureuse de le revoir !

— Cher Philippe ! soupira ma pauvre vieille amie.

— Je vais m’occuper de faire préparer sa chambre ; je verrai à ce que tout soit fait comme si vous pouviez y voir vous-même, lui dis-je.

— Je sais que je puis me fier à toi, chère enfant, répondit Mme Duverney. Quelle vrai bénédiction que de t’avoir avec moi, Marita !

Mes yeux se remplirent de larmes ; Mme Duverney m’était si chère, et peut-être… peut-être qu’elle allait m’être enlevée !…

— Marita, me dit-elle soudain, je veux te demander une question… je désire que tu y répondes franchement… Le feras-tu ?

— Mais ! Certainement, Mme Duverney ! répondis-je. Qu’est-ce que c’est que vous désirez savoir ?

— C’est ceci… Souviens-toi ! Tu as promis de me répondre la vérité, l’entière et franche vérité !

— Oui, oui, c’est entendu !

— Marita, fit-elle alors, dis-moi, dis, Philippe, mon neveu chéri… l’aimes-tu ?

Combien j’avais été loin de m’attendre à pareille question !… Je me sentis rougir… Cependant, sans hésiter un instant, je répondis, quoique d’une voix tremblante d’émotion :

— Oui, Mme Duverney, je… je l’aime… Philippe.

— J’en suis bien contente, Marita, oui, bien contente !… Philippe, de son côté, t’aime beaucoup, je sais, car il me l’a dit, lors de son séjour ici… Je voudrais… Je voudrais…

Mais la pauvre vieille dame s’endormit, avant d’avoir terminé sa phrase… Je devinai, cependant, ce qu’elle avait voulu dire… Mais, je me proposai bien de ne pas être aussi… naïve, cette fois : l’expérience m’avait démontrée qu’il ne faut pas juger des sentiments d’autrui par les siens propres… Ne m’étais-je pas fait illusion à propos des sentiments de mon cousin Arthur à mon égard ? N’avais-je pas pris pour de l’amour ce qui n’était que de l’amitié ? Et n’avais-je pas assez souffert de mon erreur ?…

— Cette bonne Mme Duverney ! pensai-je, en me penchant sur elle pour lui donner un affectueux baiser. Non seulement elle m’avait donné un chez moi et me traitait comme si j’eusse été sa propre fille ; elle eut voulu, en plus, me voir épouser son neveu qui lui était si cher !

Mme Duverney passa une bonne nuit, mais le lendemain matin elle paraissait plus faible. Elle se plaignit, à plus d’une reprise, de fortes palpitations de cœur, de bourdonnements dans les oreilles et de douleurs dans les poumons et dans le côté.

Quand le médecin vint faire sa visite, vers dix heures de l’avant-midi, je ne le reconduisis pas à la porte, ne pouvant laisser seule la malade, donc, je n’eus pas l’occasion de lui entendre exprimer son opinion sur l’état de sa cliente.

Une demi heure à peu près après le départ du docteur Foret, lorsque je sonnai Prospérine pour lui dire d’apporter un bol de bouillon chaud, je vis qu’elle avait les yeux très rouges ; elle avait pleuré.

— Qu’y a-t-il donc, Prospérine ? demandai-je, en suivant la servante dans le corridor.

— Ô Mlle Marita, répondit-elle, le médecin… il dit que ma chère bonne maîtresse affaiblit d’instant en instant presque ; il la trouve très gravement malade ; de fait, il est très inquiet à son sujet.

— Ô ciel ! m’écriai-je. Mais, Dieu merci,