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Page:Lacerte - Bois-Sinistre, 1929.djvu/51

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BOIS-SINISTRE

en ce moment, Mlle Tourville. Désireriez-vous lui parler vous-même ?

— Certes ! s’exclama-t-elle. Mais, Seigneur ! j’espère que M. Valgai est d’une nature patiente ! S’il est impatient, ou trop sévère, il me rendra si nerveuse que je n’avancerai à rien… dans mes leçons, je veux dire… Il est âgé, sans doute ?… Je sais, car j’ai eu des maîtres de musique, de chant, de danse… et tous étaient vieux et à moitié toqués. Cependant, je m’arrange toujours avec les vieillards, du moment qu’ils ne sont pas trop… grognons, vous savez ! acheva-t-elle en riant d’un bon cœur.

— Je crois que vous vous arrangerez bien avec M. Valgai, dis-je, réprimant avec peine une grande envie de rire. Je vais lui demander de venir vous parler, Mlle Tourville.

— Merci, Madame ! répondit-elle.

Au bout de quelques instants, Rocques Valgai faisait son apparition dans le studio : je l’accompagnais.

Mlle Tourville, dis-je, je vous présente M. Valgai ; M. Valgai, Mlle Tourville.

— Oh ! dit Béatrix en ouvrant de grands yeux étonnés.

— Je suis heureux de faire votre connaissance, Mademoiselle, fit Rocques en s’inclinant devant Béatrix.

Alors, comme si j’eusse subi une influence irrésistible, je levai les yeux sur le portrait de mon ancêtre et il me sembla qu’elle nous regardait tous trois, Béatrix, Rocques et moi, avec un sourire à la fois méchant et moqueur… Pourquoi ?… Je frissonnai tout à coup, comme saisie d’un funeste pressentiment.

XXVI

L’OURAGAN


Toute une semaine se passa avant que nous revîmes Rocques Valgai.

Il arriva, un soir de tempête, alors que Mlle Brasier et moi étions à travailler dans l’atelier.

— Tiens ! C’est M. Rocques ! m’écriai-je.

— Vous vous faites rare comme les beaux jours ! ajouta Mlle Brasier.

— J’ai été si, si occupé ! répondit-il. Et puis, il faut que je vous dise, Mesdames, que j’ai commencé à donner des leçons de dessin et de peinture à Mlle Tourville, ajouta-t-il en rougissant légèrement.

— Vraiment ? m’écriai-je. Je suis bien contente pour vous, M. Rocques, oui, bien contente !

— Moi aussi ! dit Mlle Brasier.

— Merci, Mesdames, merci ! Mlle Tourville m’a commissionné de lui faire installer un studio, aux Pelouses-d’Émeraude et j’ai travaillé ferme, afin de pouvoir satisfaire sa fantaisie le plus tôt possible ; de fait tout est prêt.

— Vous n’avez pas perdu de temps, M. Rocques, dis-je en souriant.

Mlle Tourville m’a prié de vous dire que son studio est dans le boudoir, dans l’aile est, sous la tour.

— Ça doit être magnifique ! m’écriai-je.

— C’est tout simplement idéal ce studio, Madame ! Il y a, comme vous le savez, quatre longues et larges fenêtres par lesquelles la lumière pénètre à flots, toute la journée… Je veux vous dire aussi… je vais peindre un portrait de grandeur naturelle, de Mlle Tourville ; ce sera une peinture dans le genre du portrait de votre ancêtre, Madame.

— Oh ! N’est-ce pas magnifique tout cela ! s’exclama Mlle Brasier. Vraiment, M. Rocques, la chance vous favorise, de ce temps-ci !

— Vous l’avez dit, Mlle Brasier, car, si je réussis à faire un petit chef-d’œuvre du portrait de Mlle Tourville, comme je l’espère, je peindrai ensuite celui de M. Tourville ; c’est promis.

— Mes félicitations les plus sincères, M. Rocques ! dis-je.

— Acceptez-vous les miennes aussi ! ajouta Mlle Brasier.

— Merci ! Merci !… Au fond, c’est à vous, Mesdames, que je suis redevable de ce qui m’arrive, nous dit-il.

— Oh ! Mais…

— Sans doute, c’est à vous que je dois tout, reprit-il. C’est vous, Madame, qui m’avez présenté à Mlle Tourville et…

M. Rocques, interrompit Mlle Brasier, quand vous peindrez le portrait de Mlle Tourville, ne peignez pas les yeux de la même manière que ceux de l’ancêtre de Mme Duverney, je vous en prie !… Ces yeux… ils sont si… sinistres, voyez-vous !

— Je ferai attention, Mlle Brasier, répondit Rocques en riant. Le fait est que je