— « Je pars pour chercher la fortune
Qui ne veut pas venir à moi », fredonna-t-il.
— Ah ! fis-je. Je comprend.
Je ne comprenais que trop ; les choses s’étaient passées à peu près ainsi que je l’avais prévu.
— Le fait est que M. Tourville exige que je me fasse un nom, avant d’oser prétendre à la main de sa fille, reprit Rocques. Dans un an, si je suis devenu un artiste de renom, je pourrai réclamer Béatrix comme ma fiancée. En attendant, il est entendu que nous sommes libres, tous deux… mais je sais bien que ma Béatrix me sera fidèle !
— Vous réussirez, je l’espère, M. Rocques, dis-je.
— J’y compte bien… Si je ne réussissais pas… Mais cela c’est improbable… impossible, j’oserais dire…
— Vous ne nous avez pas dit encore pourquoi vous vous en alliez si loin, M. Rocques, interrompit Mlle Brasier.
— J’ai l’offre d’une chance exceptionnelle, dans le sud des États-Unis, Mlle Brasier, répondit-il, et quoique je devrai être séparée de ma bien-aimée, je ne me sentirai pas tout à fait malheureux, puisque je travaillerai dans le but de me rendre digne d’elle. C’est M. Tourville, lui-même, qui m’a mis sur la piste de cette chance exceptionnelle, ajouta-t-il naïvement.
— Ah !… fit Mlle Brasier.
— Quand pensez-vous partir ? demandai-je.
— Après demain, me répondit-il en soupirant.
— Si tôt que cela ! s’exclama Mlle Brasier.
— Oui, si tôt que cela, Mlle Brasier, dit Rocques. Donc, c’est ma visite d’adieu que je suis venu vous faire aujourd’hui, Mesdames, ajouta-t-il en se levant pour partir.
— Nous aurons quelques fois de vos nouvelles, n’est-ce pas, mon jeune ami ? demandai-je, véritablement émue.
— Certes ! Je vous écrirai un mot dès mon arrivée à destination, tout d’abord, puis, je vous donnerai souvent de mes nouvelles… Adieu, Mesdames ! Vous avez été de si bonnes amies pour moi ; il m’en coûte infiniment de vous quitter !
Ainsi qu’il nous l’avait annoncé, Rocques Valgai partit, deux jours plus tard ; nous l’apprîmes par Béatrix, qui vint nous rendre visite le lendemain. Ce fut une très courte visite qu’elle nous fit, mais nous étions bien contentes de la voir.
— Rocques est parti, Madame ! me dit-elle en pleurant. Vous le saviez, sans doute ? Pauvre Rocques ! Et pauvre moi ! ajouta-t-elle, en souriant à travers ses larmes.
— Oui, je savais qu’il devait partir, répondis-je, et j’espère qu’il réussira dans toutes ses entreprises !
— Il réussira, j’en suis sûre ! s’exclama-t-elle. Mais, oh ! chère Madame, je… je m’ennuie tant depuis qu’il est parti ! C’était si, si pénible de nous quitter ! et elle éclata en sanglots.
— Un an est vite écoulé, chère Béatrix, dis-je, afin de la consoler un peu, dans sa réelle peine.
— Un an… c’est long, long ! soupira-t-elle. Si père avait voulu pourtant, Rocques n’eut pas été obligé de partir !
Cela, je le savais très bien. Mais je savais aussi que M. Tourville avait son idée, en agissant comme il l’avait fait, et plus que jamais, je plaignais ces deux jeunes gens qui s’aimaient tant.
Lorsqu’elle partit, elle promit de revenir nous voir bientôt.
— Rocques écrira, bien sûr, dit Béatrix au moment de partir. Il a dû promettre de vous donner de ses nouvelles, à vous aussi ?
— Oui, il l’a promis, répondis-je.
Après le départ de la jeune fille, je dis à Mlle Brasier :
— J’espère que je ne fais pas un jugement téméraire, mais je crois que M. Tourville doit se frotter les mains, dans le moment, et se réjouir d’avoir joué un si bon tour à sa fille et à l’ami de sa fille. C’est rusé comme un renard cet homme-là !
— Que voulez-vous dire, Mme Duverney ? demanda Mlle Brasier.
— Voyez-vous, Mlle Brasier, c’est comme ceci : quand Rocques a avoué à M. Tourville qu’il aimait sa fille et qu’il était aimé d’elle en retour, ce même M. Tourville s’est dit qu’il savait précisément comment il allait arranger les choses… S’il avait fait une scène et qu’il eut défendu l’accès de sa maison à notre jeune ami, il était, d’avance, certain d’une chose : Béatrix et Rocques seraient parvenus à se rencontrer ailleurs…
— C’est probable, fit Mlle Brasier.
— Eh ! bien. M. Tourville s’est tout sim-