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Page:Lacerte - Bois-Sinistre, 1929.djvu/68

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BOIS-SINISTRE

ques, continua-t-elle, puisqu’il faut que vous finissiez par savoir… ce qui en est…

— Mon Dieu ! Qu’allez-vous donc m’apprendre, Mlle Brasier ! s’écria notre jeune ami, d’une voix tremblante. Béatrix…

— Béatrix… Eh ! bien, reprit Mlle Brasier, lorsque vous êtes arrivé, cet après-midi, nous venions justement de lire une annonce, dans « le Babil »… une annonce de mariage…

— Oui ! questionna Rocques, tout à fait insoupçonneux.

— Béatrix… murmura la vieille demoiselle. Elle… Elle…

— Elle a épousé, hier, M. Aurèle Martigny, achevai-je.

— Béatrix ! Mariée ! À Aurèle Martigny ! Cet homme !… Je n’en crois rien Mesdames ; voilà !

— Ce n’est que trop vrai pourtant !… Nous étions obligées de vous en avertir, mon pauvre enfant, sanglotai-je. Le journal… l’annonce…

— Voici le journal, Rocques… et voici l’annonce, fit Mlle Brasier, en lui tendant « Le Babil ».

Il lut l’annonce… il la lut deux ou trois fois… puis il éclata de rire… d’un rire infiniment plus pathétique que les sanglots les plus amers.

— Aidez-moi, Mlle Brasier ! criai-je soudain.

Car Rocques Valgai, sans un cri, sans une plainte, venait de s’évanouir…

Nous eûmes juste les forces suffisantes pour empêcher que sa tête donnât contre la petite galerie de fer forgé entourant le foyer. Pauvre Rocques !

XXXIV

ÉTAIT-CE UN AVERTISSEMENT ?


Nous fîmes tout en notre pouvoir pour faire revenir Rocques de son évanouissement ; ce fut inutile.

Nous devîmes très-inquiètes. Avec l’aide de Zeus, nous avions couché notre pauvre ami sur le canapé, puis je dis à notre domestique d’atteler notre coursier le plus rapide et d’aller chercher le Docteur Foret.

Lorsqu’arriva le médecin, il parut fort surpris en apercevant Rocques.

— Mais ! C’est Rocques Valgai ! s’écriat-il.

— Il nous est arrivé cet après-midi. Nous le l’attendions pas, répondis-je. Le pauvre garçon !

— Y a-t-il longtemps qu’il est dans cet état ?

— Nous vous avons envoyé chercher, aussitôt qu’il eut perdu connaissance.

— Qu’est-ce qui a déterminé cet évanouissement, Mme Duverney ? Le savez-vous ? demanda le Docteur Foret.

— Oui, je le sais, Docteur. Il a lu, dans « Le Babil », l’annonce du mariage de Béatrix Tourville… Béatrix Martigny maintenant.

— Ah !… Le pauvre enfant ! fit le médecin en se penchant sur son malade. Il a, évidemment, reçu un rude coup, ajouta-t-il.

— Vous voulez dire ?… Sûrement, vous ne voulez pas insinuer qu’il est en danger, Docteur, n’est-ce pas ?

— Je veux dire qu’il fera probablement une longue et dangereuse maladie… Il est possible qu’il ait une congestion du cerveau.

— Une congestion du cerveau ! Cette exclamation fut poussée par Mlle Brasier et moi.

— Oui… Il s’est presque tué à travailler, afin de se rendre digne d’épouser Mlle Béatrix Tourville… fit, assez amèrement le médecin, et celle-ci a épousé Aurèle Martigny, un triste sire vraiment, et assez vieux pour être son père, à Béatrix. Ainsi va le monde, hélas ! L’argent a de l’attrait, et Aurèle Martigny est très-riche, paraît-il.

— Pauvre, pauvre Béatrix cependant ! soupirai-je. Il a dû se passer d’étranges drames, aux Pelouses-d’ÉmeraudeM. Tourville a dû forcer sa fille à épouser Aurèle Martigny, car, la dernière fois que je l’ai vue la pauvre petite, elle paraissait se mourir de… de désespoir. Je reverrai toujours ses yeux navrés ; ça faisait mal au cœur de la voir vraiment !

— Dans tous les cas, Mme Duverney, dit le médecin, Rocques Valgai va faire une longue maladie, je le crains. Il sera inconscient pendant bien des jours ; donc, il faut le faire transporter à l’hôpital tout de suite.

— À l’hôpital ? Non, non !… Pauvre Rocques ! Pauvre garçon ! m’écriai-je. Nous ne l’abandonnerons pas, au moment où il a tant besoin de nous… n’est-ce pas Mlle Brasier ? demandai-je.

— Nous le garderons ici, et nous suivrons