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Page:Lacerte - Bois-Sinistre, 1929.djvu/77

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BOIS-SINISTRE

car nous avions vraiment peine à nous tenir sur nos jambes, tant nous étions effrayées, nous tenions nos lanternes tout près du sol, examinant, et inconsciemment presque, suivant la longue trace droite conduisant… nous ne savions que trop où…

Comme nous approchions de l’extrémité du promontoire, je vis Béatrix, qui nous précédait, se pencher et ramasser quelque chose. Une exclamation épouvantée de la jeune femme fit que nous nous nous hâtâmes, Mlle Brasier et moi, d’aller la rejoindre.

— Qu’est-ce donc, Béatrix ? demandai-je.

Elle ouvrit sa main gauche et nous vîmes qu’elle contenait un objet qui brillait, à la clarté de nos lanternes :

— Voyez ! Voyez ! s’écria Béatrix, en désignant l’objet brillant… Aurèle, mon mari… ceci lui appartient.

— Un bouton de manchette, dis-je.

— Oui, un bouton de manchette… J’étais avec lui, chez le joaillier, lorsqu’il a choisi ces boutons ; il avait même insisté pour que je lui dise mon goût… C’était, il y a à peine quinze jours…

— Êtes-vous certaine que ce bouton appartenait à M. Martigny, chère enfant ? demandai-je. Vous pourriez vous tromper et…

— Ses initiales, à mon mari, doivent y être gravées… murmura-t-elle. Ah ! tenez ; les voilà ! fit-elle ensuite.

Sur le bouton de manchette, je distinguai clairement, à la lueur de mon fanal, ces deux initiales : « A. M. »

« A. M. »… Aurèle Martigny… il n’y avait plus de doute possible…

On s’était battu… Aurèle Martigny avait été attaqué… puis il avait été poussé… poussé… jusqu’au bord du précipice… Lancé, sans pouvoir s’arrêter, sur les traîtres aiguilles de sapins, il avait glissé… glissé… jusque dans le lac… C’était la troisième tragédie, du même genre, à Bois Sinistre ! excepté que, les deux autres avaient été des accidents, tandis que celle-ci, c’était un meurtre !

— Ce n’est pas bien nécessaire d’aller plus loin, dit, d’une voix méconnaissable, cette pauvre Mlle Brasier. Nous savons à quoi nous en tenir et…

— Quelques pas de plus, s’il vous plaît, Mlle Brasier ! implorai-je. Accomplissons notre devoir jusqu’au bout…

— Oh ! pour l’amour du ciel, rentrons à la maison ! s’écria la vieille demoiselle, et je compris bien qu’elle était affolée de peur.

— Rendons-nous jusqu’à l’extrémité du promontoire, suggérai-je. Voyons ce qui se passe, au pied des rochers… Qui sait ? M. Martigny… Peut-être essaie-t-il de nager, de se maintenir sur l’eau ; nous devons lui sauver la vie, si nous le pouvons.

Béatrix avait, encore cette fois, pris de l’avance sur nous ; elle nous précédait sur ce sentier, au bout duquel nous trouverions… quoi ?

Tout à coup, elle s’arrêta, tout près du bord du précipice, puis elle se mit à crier ; ses cris s’élevant, clairs et horrifiés, dans l’air du soir.

Mlle Brasier et moi, nous la rejoignîmes, à la course… et ce que nous vîmes nous arracha des cris, à nous aussi : étendu sur l’extrême bord du promontoire, de telle manière qu’il était impossible de comprendre comment il n’avait pas été précipité dans le lac, était le cadavre d’Aurèle Martigny… Le devant de sa chemise était couvert de sang ; il avait été dardé en plein cœur !

Et sur le roc, tout à côté du cadavre, était un couteau, que nous reconnûmes immédiatement, Mlle Brasier et moi, car, sur le manche étaient gravées les initiales de Rocques Valgai…

Et ce couteau aussi était rouge de sang !  !

XXXVIII

DÉTRUISANT L’ÉVIDENCE


Instinctivement, je saisis le malencontreux couteau et je le lançai dans les eaux du lac.

— Qu’est-ce que cela ? fit Béatrix.

— Ce n’est… rien, répondis-je.

— Rien, dites-vous, Mme Duverney ? Mais, quelque chose est tombée dans le lac, ce me semble !

— Ce n’est rien, vous dis-je ! répétai-je, impatientée. Occupons-nous de votre mari, Béatrix, conseillai-je.

— Mais… Il est mort ! balbutia-t-elle.

En effet, nous le constatâmes tout de suite, Aurèle Martigny était mort, mort assassiné… un coup de couteau dans le cœur ! Quelle horreur ! Quelle nuit d’horreurs plutôt, mon Dieu !

Le cadavre d’Aurèle Martigny était effrayant à voir ; les yeux presque sortis de