Page:Lacerte - Bois-Sinistre, 1929.djvu/8

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
6
BOIS-SINISTRE

trois ou quatre jours… Quand je reviendrai…

Il n’en dit pas davantage ; mais son sourire était infiniment tendre lorsqu’il se posa sur moi. Je ne pus m’empêcher de rougir timidement. Oh ! Comme je l’aimais mon cher fiancé ! J’aurais volontiers donné ma vie pour lui, me semblait-il.

Le lendemain matin, j’étais debout de bien bonne heure. Arthur partait par le train de neuf heures ; je voulais verser son café et aussi lui faire mes adieux… ou plutôt, lui dire « au revoir ».

Je n’avais pas demandé à mon cousin pourquoi il s’absentait pour trois ou quatre longs jours ; je devinais bien qu’il devait avoir des affaires à arranger et un habit à acheter, en vue de notre mariage. L… n’était qu’une toute petite ville, presqu’un village, et il était impossible de s’y procurer des marchandises un peu hors de l’ordinaire, tandis qu’à la Ville… Je savais bien une chose par exemple ; c’était que je compterais les jours, les heures, les minutes, les instants même, jusqu’au retour de mon bien-aimé !

Comme je passais près du salon, après le déjeuner. Arthur m’appela et j’allai docilement le trouver. Il était prêt à partir, car il avait endossé son pardessus et il tenait à la main sa canne, son chapeau et ses gants.

— Marita chérie, dit-il en souriant, veux-tu me rendre un service ?

— Ah ! Vous savez bien que oui, Arthur ! répondis-je, avec un regard qui devait être rempli d’amour et de dévouement.

Du petit doigt de sa main droite il enleva un anneau qu’il portait toujours et le passa à l’annulaire de ma main gauche.

— Il fait exactement ! s’écria-t-il. Merci, mon aimée, ajouta-t-il en remettant l’anneau à son doigt. Au revoir, petite cousine ; je serai de retour dans quatre jours, au plus.

Il m’embrassa tendrement… puis il partit…

IV

CADEAUX DE NOCES


— Sûrement, tu ne pleures pas. Marita ! s’écria Mme Duverney, qui venait de me surprendre en larmes.

— Arthur… Il est parti ! sanglotai-je.

— Ce n’est pas une raison pour pleurer, ma petite, dit Mme Duverney ; de plus, nous avons beaucoup à faire avant le retour de ton fiancé. Nous allons être si occupées que tu t’apercevras à peine de l’absence d’Arthur. Viens avec moi, Marita.

Elle m’emmena dans le salon et me dit :

— Tu ne te marieras pas en noir, inutile de le dire ; tu n’aimerais pas cela… Arthur non plus, je crois. Tu vas mettre ton deuil pour ta tante de côté, pour quelque temps du moins, et… regarde !

Elle ouvrit une boîte en carton, puis elle étendit sur le canapé du salon plusieurs verges de satin blanc et de dentelle, celle-ci fine comme de la toile d’araignée.

— Voici mon cadeau de noces, petite, dit la bonne dame. Je ferai la robe moi-même, et je prédis que tu seras la plus belle et la plus chic mariée imaginable. Ton voile arrivera après-demain et je crois que tu l’aimeras ; c’est le plus beau que j’aie pu trouver d’ailleurs.

— Merci ! Oh ! merci ! m’écriai-je, en me suspendant au cou de ma bonne vieille amie.

Quand la robe eut été faite, trois jours plus tard, je la trouvai fort belle. Me regardant dans une glace, je me reconnus à peine… Était-ce bien là Marita, la jeune encadreuse d’images ?… Ce n’était presque pas croyable… Mais oui, la personne svelte, élégante que j’apercevais, c’était bien moi !

— Jamais je n’avais eu aucune prétention à la beauté ; jamais non plus je ne m’étais fait la moindre illusion sur mon physique. Je savais, même lorsque j’étais très jeune, que je pouvais passer parmi la foule tout simplement, sans attirer l’attention sur moi. Cela ne me tracassait guère d’ailleurs. À l’âge de dix-sept ans donc, j’étais un spécimen bien ordinaire de l’humanité, en ce qui concerne la beauté, s’entend. Une de mes amies m’avait dit un jour :

— Je donnerais… je donnerais tout au monde pour être belle, jolie, du moins ! Rien ne vaut la véritable beauté, me semble-t-il.

Quant à moi, je n’y pensais seulement pas, et je ne me souviens pas même d’avoir jamais envié la beauté d’autrui. J’étais telle que Dieu m’avait créée, et, du moment qu’Arthur m’aimait telle que j’étais que