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Page:Lacerte - Bois-Sinistre, 1929.djvu/91

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BOIS-SINISTRE

nous, Prospérine ; donc, ne manquez pas de nous servir de la crème fouettée et de la gelée, hein, car, vous le savez, c’est le plat favori de Mme Martigny.

— Certainement, Madame, répondit Prospérine. Et, Madame ajouta-t-elle en se tournant du côté de Béatrix, si vous pouviez persuader Mme Duverney de prendre un peu de nourriture ! Je vous dis que Madame ne mange pas assez pour soutenir un poulet, depuis quelque temps… Mlle Brasier non plus, quant à cela.

— Vous allez me voir dévorer la crème fouettée et la gelée, Prospérine dis-je en riant.

— Dieu sait si je serais contente de vous voir manger avec un peu d’appétit ! s’écria la servante car, vraiment, ça ne vaut pas la peine de préparer des repas ici ; personne n’y fait honneur, acheva-t-elle en se retirant.

Je fermai avec précaution la porte de l’étude, aussitôt que nous eûmes été installées dans cette pièce. Maintenant, nous étions prêtes à prêter une oreille attentive à Béatrix, tandis qu’elle nous raconterait cette « chose importante » qu’elle nous avait annoncée.

XLVI

LE DERNIER ACTE DE LA TRAGÉDIE


Une foi en sûreté dans l’étude, Béatrix me remit une enveloppe contenant une lettre, qu’elle avait reçue le jour précédent, me dit-elle.

— Veuillez la lire tout haut, Mme Duverney.

Naturellement, mes yeux coururent tout de suite à la signature.

— Oh ! m’écriai-je. La signature de… Mais… Comment cette lettre vous est-elle parvenue, Béatrix ?

— Je vous le dirai, après que vous l’aurez lue, chère Mme Duverney me répondit-elle.

— Qu’est-ce donc ? demanda Mlle Brasier. D’où… de qui vient cette lettre, et quelle nouvelle horreur…

— C’est une lettre de Caïn ?… Le… le meurtrier ?

— Oui, de Caïn le meurtrier.

— Quel nouveau malheur nous attend ? s’écria Mlle Brasier.

— Je ne le sais pas… Mais la lettre est courte, très courte… ce n’est qu’un billet…

Lisez ! Je vous en prie, lisez !

— Voici :

« Mme Aurèle Martigny.
« Pelouses-d’Émeraude,
« Madame,

« Ne craignez rien, ne soyez pas inquiète, Madame ; je ne mentionnerai aucun nom, ni de personnes, ni de propriétés. On croit que votre mari a été assassiné là où l’on a trouvé son cadavre, et je ne les détromperai pas.

« Vous avez été bonne pour moi jadis, Madame ; vous êtes intervenue plus d’une fois, alors que votre brutal mari voulait me fouetter comme un chien… Je n’oublie pas… et je me tairai.

« Ainsi, je le répète, ne craignez rien, ni pour vous, ni pour vos amies.

« Votre serviteur, jusqu’à la mort. »

« Caïn. »

— Cette lettre explique tout ce qui nous paraissait inexplicable, dis-je, après lecture de la missive du nègre ; Caïn est reconnaissant, et il sait le prouver.

— Quel soulagement, mon Dieu ! Quel soulagement ! s’écria Mlle Brasier.

— Oui, Caïn est reconnaissant, fit Béatrix ; ce qui prouve, une fois de plus, qu’un acte de bonté n’est jamais perdu.

— Quel soulagement ! Quel soulagement ! répéta Mlle Brasier. Et j’espère, maintenant que vous allez revenir à votre état normal, Mme Duverney, ajouta-t-elle.

— Je pourrais dire la même chose de vous… et de Béatrix, mon amie, répliquai-je, en souriant. Le fait est que cette affaire était en frais de nous jouer un mauvais tour, à toutes trois, je crois.

— Vous avez raison, Mme Duverney, répondit Béatrix. En ce qui me concerne, je crois que je n’ai pas dormi douze heures, depuis… depuis la tragédie.

— Mais, dites-nous donc comment Caïn est parvenu à vous envoyer ce billet, Béatrix ? Pour moi, c’est un mystère. La loi des prisons…

— Ça sera toujours un mystère pour moi aussi, répondit-elle.

L’avez-vous reçu par la poste ce billet demanda Mlle Brasier.

— Oh ! non !… Hier, un homme est