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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

trée de la houillère ; pénétrons chez les Francœur et voyons ce qui s’y passe.

Mme Francœur ne s’était pas trompée en disant qu’elle avait aperçu Richard d’Azur, s’en allant clopin-clopan, dans la direction de la ville. Le père de Luella s’était donné une entorse, en fuyant, dans la mine et il en souffrait grandement.

Luella le précédait sur le chemin ; mais que son état était pitoyable ! Sa robe était en lambeaux, ses bras étaient égratignés et meurtris, et à la tête elle portait une large blessure, qui saignait abondamment. Tout en marchant, elle sanglotait.

Arrivés à la maison, le père et la fille se retirèrent, chacun dans sa chambre ; Richard d’Azur, pour prendre un bain et s’envelopper dans sa robe de chambre ensuite ; Luella, pour se jeter sur son canapé en pleurant.

Salomé, ayant entendu arriver ses maîtres, était montée à la course, au second palier.

Entrant, sans frapper, dans la chambre de Luella, elle jeta un cri en apercevant sa jeune maîtresse, la robe en lambeaux et toute couverte de sang.

Mlle Luella ! Oh ! Miséricorde ! Mlle Luella !

— Va… Va t’en ! ordonna la jeune fille.

— M’en aller ! Vous laisser dans un tel état !

— Va-t-en, te dis-je ! Je veux être seule.

— Mais… Votre visage et vos mains sont noirs de charbon, Mlle Luella ! Vous êtes blessée !…

— Ah ! Que m’importe !… Il est mort, vois-tu, Salomé !… M. Ducastel… Celui que j’aimais… Il était au fond du couloir… tout au fond… il n’a pu fuir… comme nous !

— C’est regrettable… infiniment regrettable, je le comprends, chère enfant ; cependant, vous ne pouvez pas…

— Ne t’ai-je pas dit de t’en aller ? répéta la jeune fille, en frappant le plancher du pied.

— Salomé ! appela alors Richard d’Azur.

— Oui ! Je viens ! répondit la négresse.

— Et viens tout de suite ! tonna Richard d’Azur. Mon pied me fait horriblement souffrir !

Elle ne bougea pas plus qu’un terme, se contentant de hausser les épaules, d’un air indifférent.

Mlle Luella ! fit-elle, d’un ton suppliant. Ne me laisserez-vous pas…

— Veux-tu bien t’en aller ! s’écria Luella.

— Oh ! Ne me chassez pas de votre présence, je vous en prie ! pleura la négresse.

La fille du millionnaire ne répondit pas cette fois ; mais se retournant elle prit, sur un guéridon, une longue règle, avec laquelle elle s’apprêta de frapper la servante.

Les yeux de Salomé roulèrent dans leurs orbites, puis deux larmes coulèrent sur ses joues… Elle esquissa un geste de protestation désolée et le visage navré, la tête basse, elle quitta la chambre de sa jeune maîtresse. Aussitôt, Luella se leva et courant vers la porte, elle tourna la clef dans la serrure, afin de n’être plus importunée. S’étant, de nouveau jetée sur son canapé, elle s’écria, en sanglotant convulsivement :

— J’ai vu… oui, j’ai vu s’effondrer la voûte du couloir et celui que j’aime si follement enseveli sous les décombres !… Que c’était épouvantable !… Je l’aimais… Je l’aimais tant !… Et lui… il eut fini par m’aimer, en retour… Moi qui rêvais de devenir sa femme bientôt… Avec l’aide de M. Broussailles, j’aurais réussi… Fatalité ! Fatalité ! Jamais je n’oublierai, non jamais !

Elle était inconsolable vraiment.

Une heure, deux se passèrent et elle était toujours couchée sur le canapé à pleurer. Plus d’une fois, Salomé était venue jusqu’à la chambre de sa jeune maîtresse ; elle avait essayé d’ouvrir la porte ; mais s’apercevant qu’elle était fermée à clef, elle s’en était retournée auprès de Richard d’Azur, le cœur brisé.

D’ailleurs, le père de Luella réclamait sans cesse les soins de la négresse. Disons pourtant qu’il ne soupçonnait nullement ce qui se passait dans la chambre de sa fille. Son pied le faisait beaucoup souffrir, et croyant que Luella avait dû suivre son exemple, c’est-à-dire prendre un bain, puis se coucher, il