fonça littéralement dans la maison et, d’une voix moqueuse dit :
— Comment va, M. Hynes… dit d’Azur ?
— Jacobin !… murmura Richard d’Azur, prêt à s’évanouir.
Chapitre XI
LE PRIX DU SILENCE
Comme s’il eut été chez lui et non chez de parfaits étrangers, Jacobin entra dans le salon, faisant signe à Richard d’Azur de le suivre.
— Surpris de me voir, hein, M. Hynes ? dit-il, gouailleur. Vous me croyiez parti de W…, en route pour Halifax, bien sûr ?
— Oui, je le croyais… et je l’espérais.
— C’est entendu, puisque cette bonne Salomé assistait, invisible, le croyait-elle fermement, au départ du train, hier matin. Ha ha ha ! rit-il. Je savais qu’elle serait là et j’ai fait un… un faux départ ; c’est-à-dire que je ne me suis rendu qu’à la gare voisine d’ici et je suis revenu à W… dans l’après-midi. Ha ha ha ! Ha ha ha !
— Pourquoi avoir joué cette comédie, Jacobin ? demanda Richard d’Azur, qui était pâle jusqu’aux lèvres.
— Pourquoi ? Vous me demandez pourquoi ?… Mais tout simplement parce que je voulais vous donner le change, à tous. C’est que, voyez-vous, j’ai suivi Salomé, de loin, avant hier, après notre rencontre et…
— Oh ! s’exclama le père de Luella.
— Je l’ai vu vous parler… Certes, je n’ai pas été très étonné en vous apercevant, M. Hynes, car j’avais deviné que votre domestique mentait en affirmant qu’elle avait quitté votre service… Salomé, quitter Alba ! Non, vrai ! Elle n’aurait pas dû essayer de me faire avaler celle-là !
— Et maintenant, que me veux-tu, Jacobin ?
— Je vais vous le dire illico. Mais d’abord, laissez-moi vous annoncer que je sais à quoi m’en tenir sur le prochain mariage d’Alba… dite Luella… J’ai même aperçu, quoique de loin, le futur époux, M. Ducastel.
— Et puis ? fit Richard d’Azur, affectant une indifférence qu’il était loin de ressentir.
— Ce mariage… si je le désire, il ne se fera pas… et vous le savez bien, M. Hynes… dit d’Azur.
— Allons donc !
— Je n’ai qu’à mettre ce M. Ducastel au courant de certains faits… Je n’aurai qu’à lui dire… ce que vous savez…
— Vraiment ?… Et qui t’a si bien renseigné sur le compte de ma fille… et sur le mien ?
— Ma grand’mère. Elle sait… tout, elle !
— Ah !… Tu disais que…
— Que je me propose de raconter d’intéressantes choses à M. Ducastel, répondit Jacobin en riant.
— Voyons ! Tu ne feras pas cela, Jacobin, sûrement ! s’écria Richard d’Azur, Luella…
— Alba… vous voulez dire, M. Hynes…
— Oui, Alba… Elle ne t’a rien fait, pour que tu lui brises le cœur.
— Non, hein ? Elle ne m’a rien fait ? cria Jacobin. Elle m’a froidement trompé. Je l’ai crue, moi, lorsqu’elle m’a dit qu’elle ne quittait la Route Noire que pour une semaine ou deux… que je la reverrais bientôt. Je l’aimais… je l’aime encore… et j’ai horriblement souffert de son abandon. Et je la laisserais épouser ce M. Ducastel… cet étranger, après tout, quand je n’aurais que quelques mots à dire (une demi-douzaine en tout) pour empêcher ce mariage ! Pas moi !
— Jacobin ! Jacobin ! supplia le père de Luella.
— Je dirai à M. Ducastel que…
— M. Ducastel sait… tout, mon garçon, mentit Richard d’Azur et croyant tromper Jacobin.
— Oh ! Que nenni ! Je n’en crois rien ! s’écria-t-il en éclatant de rire. S’il savait ce jeune homme… je pense qu’il hésiterait avant d’épouser Luella d’Azur, toute fille de millionnaire soit-elle !
— Tu insultes ma fille, misérable ! cria Richard d’Azur s’élançant sur Jacobin, les poings serrés.
— Oh ! Mais ! Non ! Seulement, c’est inutile de mentir, mon bon monsieur. Ça ne prend pas avec moi, voyez-vous !