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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

pas trop vous déranger.

— Certainement ! répondit notre ami. Entrez ! ajouta-t-il, en ouvrant la porte de son bureau et faisant, signe à Ludger de le suivre.

— Je ne vous retiendrai pas longtemps… Seulement, ce que j’ai à vous dire est si important !

— Je ne suis nullement pressé, Ludger… Mais d’abord, dites-moi comment vous vous arrangez depuis… depuis le décès de votre petite… Je voulais aller vous voir, vous offrir mes services…

— Certes, M. Ducastel s’écria Ludger Poitras, je pense bien que vous avez fait votre large part, en ce qui me concerne ! Vous avez envoyé une magnifique couronne de roses, pour déposer sur le cercueil de ma petite Anita… vous avez assisté à ses funérailles… que demander de mieux ou de plus ?… Et c’est en pensant à tout cela… à toutes vos bontés je veux dire, et venant d’apprendre une nouvelle qui m’a excessivement surpris, que j’ai résolu de… de venir vous parler, afin de vous détromper, sur certaines choses…

— Me détromper, Ludger ?… À propos de quoi ?… Que voulez-vous dire ?

— Bien, Monsieur… C’est à propos du « désastre » que je désire vous entretenir.

— Vraiment ?… Parlez, alors ; je vous écoute.

— Ce soir-là donc, ma petite étant devenue plus mal subitement, je n’avais pu la quitter pour me rendre à l’entrée de la houillère, comme les autres, vous le pensez bien. Mais, plus de deux heures après le « désastre » plus de deux heures, remarquez bien, M. l’Inspecteur, Anita s’étant endormie, je partis, à la recherche du médecin…

— Oui ? fit Yvon, ne voyant pas ce qui pouvait beaucoup l’intéresser dans ce récit de Ludger Poitras.

— Ainsi, Monsieur Ducastel, reprit l’infirme, je m’en allais sur le chemin du Roi… Or, à l’endroit où ce chemin rejoint presque la Route Abandonnée, j’ai vu…

— Qu’avez-vous vu, mon ami ? demanda patiemment le jeune homme.

— J’ai vu… Vraiment… peut-être ferais-je mieux de me taire…

— Mais, non ! Continuez ! Il est trop tard pour vous taire maintenant. Qu’avez-vous vu, Ludger ?

— Tout d’abord, je devrais dire que j’ai entendu un bruit qui m’a beaucoup étonné : celui du roulement d’une voiture sur la Route Abandonnée. C’était chose assez curieuse, vous l’avouerez, M. l’Inspecteur, car la Route Abandonnée n’en est pas une qu’on pourrait appeler carrossable. Surpris au-delà de toute expression, je m’arrêtai et je regardai… la voiture passa près de moi, près à me toucher… Un fanal allumé, dans cette voiture, me permit de distinguer deux personnes, assises sur le siège de devant… Ces personnes…

— Vous les avez reconnues ?…

— Oui… Je les ai reconnues…

— Qui était-ce, mon ami ? Et pourquoi hésitez-vous tant à me les nommer ?

— Ah ! C’est que je crains de vous froisser, M. Ducastel ! Voilà pourquoi j’hésite…

— Vous m’intriguez fort, Poitras ! dit Yvon, qui commençait à s’impatienter.

— Je les ai donc reconnues toutes deux, ces personnes, dans la voiture ; l’une d’elles… c’était… Mlle d’Azur… l’autre…

Mlle d’Azur ? Impossible ! Impossible ! Mlle d’Azur ne pouvait être en voiture sur la Route Abandonnée, deux heures après le « désastre », puisqu’elle…

— Je vous dis que c’était elle !… Elle portait encore des traces de son séjour dans la mine ; sa robe me parut être en lambeaux… Sa tête était couverte de sang… Lorsqu’ils passèrent tout près de moi, j’entendis clairement les paroles suivantes, prononcées par une voix d’homme : « lorsque M. Ducastel reprendra connaissance, tout à l’heure, il faut que ce soit vous, Mlle d’Azur, qu’il voie penchée sur lui et lui prodiguant des soins ».

— Je… Je ne… comprends pas… balbutia Yvon. Vous prétendez que c’était Mlle d’Azur… ma fiancée qui…

— Je le jure, Monsieur ?

— Celui qui l’accompagnait… vous dites l’avoir reconnu, lui aussi ?

— Je l’ai reconnu immédiatement ;