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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

soudain, que je me suis évanouie.

— Or, ainsi s’explique le mystère, mon garçon, fit Lionel Jacques en souriant. Annette, reprit-il, je croyais le Gite-Riant hanté, car, plus d’une fois, je vous ai entendu pleurer et vous plaindre, pauvre enfant… Cela s’expliquerait par un effet d’accoustique

— J’ai passé bien des heures dans ces souterrains, dit Annette. Une nuit, j’ai découvert une entrée à la houillère.

Comme on la regardait avec étonnement, elle reprit :

— C’est moi la Dame Noire.

— Comment ! La Dame Noire, c’est vous ?

— Oui… J’étais là, dans le couloir, M. Yvon, le soir du « désastre »… C’est moi, et non Mlle d’Azur, qui ai opéré votre sauvetage… Vous pouvez le croire, cette fois… Contrairement à ce qu’on a prétendu, vous n’aviez pas été enseveli sous les décombres, grâce à deux pièces de la charpente, lesquelles, en tombant, ont formé comme une voûte au-dessus de votre tête. Vous n’aviez aucun mal lorsque je vous ai secouru ; vous aviez seulement perdu connaissance.

— C’est à vous, alors, que je dois la vie s’écria Yvon.

— Je n’avais jamais eu l’intention de faire de la Dame Noire un être… surnaturel, croyez-le, dit la jeune fille ; cependant, c’était aussi bien ainsi et je courais moins le risque d’être découverte… par mon grand-père… Tout s’explique facilement, naturellement : mon visage et mes mains « d’une blancheur surnaturelle » comme affirmaient les superstitieux, je les recouvre tout simplement d’un masque blanc (pour mon visage) et de gants blancs (pour mes mains), afin de ne pas me noircir de charbon… Cette lumière que projette ma main droite, ce n’est qu’une minuscule lanterne, au verre lenticulaire que je porte, pour m’éclairer, dans la mine.

— Et tout cela revient à dire qu’il n’est rien de surnaturel, ni de réellement mystérieux en ce monde, n’est-ce pas, Mme Francœur ? dit Lionel Jacques en souriant.

— Dire que j’avais tant peur de la Dame Noire ! s’écria Mme Francœur et que tout le temps c’était Mlle Annette !

— Annette, demanda Yvon tout à coup, n’êtes-vous pas l’auteur d’un quatrain, qui se lit comme suit :

Est-il une douleur comparable à la mienne ?
Est-il, en ce bas-monde, une plus grande peine
Que celle que j’endure ?… Ô Maître tout-puissant,
Ayez pitié de moi ! Soyez compatissant !

— Où… Où avez-vous trouvé cela, M. Yvon ? demanda Annette, étonnée.

— Sur une feuille de papier à lettre, dans le fond d’une boîte, lors de mon séjour à la Maison Grise… Me permettez-vous de le garder ?

— Si vous le désirez, répondit-elle en souriant.

— Merci, Mlle Annette !… Je suis possesseur aussi d’un minuscule carré de toile, que les dames désignent du nom de mouchoir, reprit-il ; dans un coin sont les initiales « A. V. », brodées dans un motif de marguerites… Cela aussi, je le garde… avec votre permission, s’entend.

— Ah ! Je me souviens fort bien d’avoir perdu ce mouchoir, sur le Sentier de Nulle Part, certain jour.

— C’est là que je l’ai trouvé…. Me le donnez-vous ?

— Oui… Les marguerites sont mes fleurs préférées ; c’est pourquoi j’avais brodé de ces fleurs autour de mes initiales… Maintenant, j’ai autre chose à vous expliquer, dit la jeune fille ; c’est l’attitude du curé de la Ville Blanche vis-à-vis de moi…

— Ah ! oui… le curé… murmura Yvon d’un ton froid.

— On ne peut le blâmer… Je sais qu’il a deviné, tout de suite en m’apercevant pour la première fois, que je n’étais pas aveugle…

— Comment aurait-il pu le deviner ? demanda Yvon.

— Je crois que je le comprends, moi, dit Lionel Jacques ; notre curé m’a dit déjà, en plus d’une occasion, qu’il avait été, pendant dix ans, chapelain dans une institution pour les aveugles.

— C’est cela, évidemment, répondit tristement la jeune fille… Il a découvert la… fraude, sans pou-