Page:Lacerte - L'homme de la maison grise, 1933.djvu/189

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
188
L’HOMME DE LA MAISON GRISE

vernois, en pressant la jeune fille dans ses bras. Ah ! Cette ressemblance ! continua-t-il. M. le curé, vous le savez, je vous l’ai dit qu’Annette ressemblait à ma femme d’une façon extraordinaire !

— Oui, vous me l’avez dit, peut-être cent fois, répondit le prêtre.

— Mais… Mais… balbutia Annette. M. Jacques…

— Annette ! Ma fille ! Mon enfant chérie ! s’exclama Jacques Livernois. Ah ! continua-t-il, cette affection paternelle que je ressentais pour toi, ce n’était que naturel… Mais, sache-le, ma fille, ton véritable nom c’est Stéphannette…

— Eh ! bien, oui, M. Livernois, Annette est votre fille… Lorsqu’elle était petite, elle se nommait elle-même Annette et le nom lui est resté.

— Ô M. Jacques, s’écria Yvon, Annette est donc véritablement votre fille ?

— Oui, mon garçon… et que Dieu en soit béni !… Ah ! Elle est le portrait vivant de ma Stéphanne… M. le Curé le sait, lorsqu’Annette venait au Gite-Riant, j’aimais à la voir se parer des toilettes qu’avait porté ma femme et la chère enfant ne refusait jamais de me faire ce plaisir.

— C’est donc cela ?… balbutia Yvon. On me l’avait dit… Je ne comprenais pas… Et, dites-moi, M. Jacques, ce portrait encadré qui est sur une table, dans votre chambre à coucher, est-ce celui de votre femme… de Mme Livernois ?

— Oui, Yvon.

— J’ai entrevu ce portrait… certain jour… J’ai cru que c’était celui d’Annette.

Jacques Livernois sourit tristement : il avait eu le pressentiment de bien des choses… il avait compris les sentiments d’Yvon vis-à-vis d’Annette, depuis longtemps.

Mais Félix de Montvilliers parlait :

— Vous pouvez la prendre votre fille, M. Livernois, disait-il. Je me suis vengé de vous et de votre femme en obligeant Annette à se faire passer pour aveugle… Depuis l’âge de sept ans qu’elle… vole l’argent du public.

— Ô mon Dieu ! fit Annette en sanglotant.

— Nous savons tout cela, M. de Montvilliers, dit Yvon. Annette, la pauvre enfant n’est pas coupable. C’est vous le voleur, la brute ! Annette… Nous l’aimons, nous la respectons, à l’égal d’un ange du bon Dieu.

— Tiens ! Tiens ! s’écria l’ermite, avec un rire si insultant qu’Yvon eut envie de lui donner un soufflet.

— Ainsi, M. de Montvilliers, vous aviez enlevé Annette à sa pauvre mère ? Ah ! Soyez maudit, mille fois maudit.

L’homme de la Maison Grise haussa les épaules, puis il répondit.

— Je l’ai, en effet, enlevée, de force, à sa mère… moribonde… Quelle scène elle me fit, quelle scène !… Si vous aviez pu la voir votre femme se traîner sur le plancher et m’implorer de lui laisser son enfant !… S’il vous eut été donné de l’apercevoir votre Stéphanne chérie me suivant, à genoux (car elle n’avait plus la force de se tenir debout, encore moins de marcher) essayant de m’enlever sa Stéphannette… au moment de tomber morte à mes pieds ! Hé hé hé !

Mais le rire s’éteignit dans son gosier ; Jacques Livernois venait de lui sauter à la gorge, et tandis qu’Yvon, de son côté, faisait forcément ployer le genou du bourreau de Stéphanne, l’ex-gérant de banque étouffait celui-ci… lentement, mais sûrement.

Mais le prêtre intervint. Certes, ce dernier comprenait à quel sentiment obéissait son ami. Cependant, nul n’a droit sur la vie d’autrui.

M. Jacques ! implorait le prêtre. De grâce, M. Jacques !

— N’avez-vous pas entendu, M. l’abbé, ce que cet homme vient de raconter ? criait le propriétaire de la Ville Blanche. Il a…

— Je sais… Je sais, mon fils ; mais… Ah ! Voyez votre fille, votre Stéphannette ; elle est horrifiée de ce que vous faites !

Les doigts de Jacques Livernois se desserrèrent aussitôt. Il se contenta de repousser rudement Félix de Montvilliers, puis il courut auprès d’Annette.

— Ma fille ! s’écria-t-il. Pardon !

— Père ! répondit-elle. Venez,