Page:Lacerte - L'homme de la maison grise, 1933.djvu/52

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
51
L’HOMME DE LA MAISON GRISE

min. La chambre de M. Ducastel est prête, puisque vous nous aviez avertis de son arrivée. Quand vous désirerez prendre possession des pièces qui vous ont été réservées, M. Ducastel, vous n’aurez qu’à sonner, acheva-t-il, en se retirant.

— Savez-vous, M. Jacques, que c’est un lieu enchanteur ici ! s’écria Yvon, au moment de prendre place à table.

— Tu trouves, mon garçon ?

— Cette église, toute blanche… ces maisonnettes, toutes blanches, elles aussi, éparpillées ici et là, au milieu de tant de verdure… C’est… oui, c’est véritablement féerique !

— Je suis content que tu aimes mon petit domaine, Yvon, bien content ! répondit gravement Lionel Jacques, et je te le redis de tout cœur ; sois le bienvenu mille et mille fois, à la Ville Blanche !


Chapitre II

LES NOTABLES DE L’ENDROIT


— La Ville Blanche ?…

— C’est ainsi que j’ai nommé mon domaine, Yvon.

— Et c’est le nom qui lui convient, bien sûr !

Le souper se prit gaiement, sur la spacieuse et confortable véranda ; les deux hommes, l’homme d’âge mûr et le jeune homme, causant joyeusement ensemble. Ils avaient été, en quelque sorte, privés du grand air, à la Maison Grise, quoique cette dernière résidence eût été située dans un paysage isolé, désolé ; ils jouissaient donc de leur « liberté » comme disait Yvon.

— Vraiment, M. Jacques, plus je regarde la Ville Blanche, plus je l’aime ! s’écria notre ami, après le souper et alors que lui et Lionel Jacques fumaient sur la véranda.

— J’espère que tu y passeras le reste de ton congé alors, mon garçon, dit l’ex-gérant de banque.

— Merci, M. Jacques ! Je ne demande pas mieux que d’accepter votre gracieuse invitation, croyez-le !… Demain, je me propose de faire, à pied, le tour de la Ville Blanche.

— Ça ne te prendra pas grand temps, répondit Lionel Jacques en riant, car elle n’est, je te l’ai dit, que de deux milles carrés.

— Trente maisons, en tout, n’est-ce pas ?

— Oui, trente maisons… sans compter l’église, le presbytère, l’école et ma résidence, qui est désignée, ma résidence, je veux dire, du nom de Gîte-Riant.

— Qu’est-ce que l’on aperçoit d’ici… cette enseigne, je veux dire ? demanda Yvon, en indiquant une maison (blanche, elle aussi, inutile de le dire) au-devant de laquelle une planchette se balançait.

— Cela, c’est notre magasin général. Un brave homme que M. Foulon, notre marchand… l’un des notables de la ville aussi.

— Et il trouve à gagner sa vie ici, avec son magasin ! s’écria Yvon.

— Eh ! oui… M. Foulon n’est pas un millionnaire, tu comprends… les millionnaires sont rares, à la Ville Blanche. Tous y gagnent leur vie convenablement pourtant ; quelques-uns même parviennent à mettre un peu d’argent de côté…

— C’est… c’est merveilleux, M. Jacques !

— Les habitants (« les citoyens », je devrais dire) de la Ville Blanche travaillent tous pour moi, puisque toute la ville m’appartient. Je leur loue mes maisons ; en retour, je leur paie leur travail.

— C’est extraordinaire, extraordinaire ! fit le jeune homme…… Mais, M. Jacques, ajouta-t-il en souriant, vous disiez, tout à l’heure, que les millionnaires sont rares à la Ville Blanche ; cependant je crois que le propriétaire de la ville fait exception…

— Non, mon garçon, non ! répondit Lionel Jacques. Tu le croirais à peine sans doute, si je te disais quel prix j’ai payé cette maison que j’habite et tout le terrain avoisinant (toute la Ville Blanche, je veux dire). Le fait est que, à part des vergers dont la ville est parsemée, le terrain ne rapportait guère, car ce n’était, en fin de compte, qu’un vaste marécage…

— Comment ! Ces vertes prairies, ces jardins, ces…

— Marécages, tout cela, lorsque j’ai acheté cette propriété, Yvon ! Ce n’est presque pas croyable, hein ? mais c’est un fait.

— Vous l’avez dit, M. Jacques, ce n’est presque pas croyable ! s’écria le jeune homme.

— Il a fallu refaire le terrain,