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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

probablement… Ô Annette, Annette ! De vous avoir revue, cela n’a fait que me torturer davantage et augmenter mon désespoir !

Et Lionel Jacques, l’ex-gérant de banque, le grave homme d’affaires, le propriétaire de la Ville Blanche, se mît à pleurer comme un enfant.


Chapitre IX

QU’AVAIT LIONEL JACQUES ?


Yvon se préparait à retourner à W…, car son congé expirait le lendemain soir.

Ça ne serait pas sans regret qu’il quitterait la Ville Blanche, le Gîte-Riant surtout, quoique, pour dire la vérité, son hôte paraissait n’être pas dans son état normal depuis quelques jours… Qu’avait-il donc ?… Il était devenu distrait, nerveux et un tant soit peu taciturne.

Yvon avait essayé de déterminer l’époque de laquelle datait ce changement chez son ami et, à son extrême surprise, il avait constaté que cela datait de ce jeudi qu’Annette avait passé avec eux… N’était-ce pas étrange ?…

Car il n’avait résulté rien de désagréable pour la jeune aveugle, de son séjour au Gîte-Riant ; M. Villemont ne s’était douté de rien. Annette était retournée à la Maison Grise à l’heure habituelle et elle avait remis à son grand’père sa recette de la journée : une poignée de monnaie, se montant à un peu plus d’un dollar, que lui avait donnée Lionel Jacques au moment de son départ : cette monnaie étant destinée à donner le change à… qui de droit, et cela avait pleinement réussi.

Cependant, Yvon n’avait pu persuader la jeune fille à renouveler sa visite ; elle avait risqué gros, avait-elle répondu, et elle n’osait pas recommencer… pas tout de suite, dans tous les cas… Plus tard, elle verrait.

D’ailleurs, chose curieuse, Lionel Jacques n’avait pas l’air de tenir à ce qu’Annette revint, si tôt, chez lui… Il ne l’avait pas dit franchement, il est vrai ; seulement, certaines intonations froides… certaines restrictions dans ses paroles lorsqu’Yvon prononçait le nom de la jeune aveugle, avaient donné cette impression à notre héros et, vraiment, il n’en revenait pas !

— Puisque M. Villemont n’a eu aucun soupçon, avait dit Yvon, un soir, je ne sais pas pourquoi Annette ne vient pas passer une autre journée avec nous… avant que je retourne à W…

— Elle ne veut pas courir le risque d’être découverte, probablement, avait répondu d’un air indifférent. Lionel Jacques.

— Pauvre Annette ! s’était exclamé Yvon. N’est-ce pas qu’elle est douce, charmante et belle. M. Jacques ?

— Oui… Mais. Yvon, si j’étais toi, je cesserais, petit à petit, toute relation avec elle… j’éviterais de la rencontrer… ou de lui montrer de l’intérêt…

— Hein ? Vous dites ?

— C’est pour ton bien que je parle, crois-le.

— Alors, je ne vous comprends pas, M. Jacques, répondit froidement le jeune homme.

— Oh ! Oui ! Tu comprends…, parfaitement même, répliqua Lionel Jacques. À quoi cela servira-t-il cette intimité avec une jeune aveugle, je te le demande ?

— Vraiment, dit Yvon avec un rire méconnaissable, je me demande si c’est bien vous, M. Jacques, qui me parlez ainsi ; vous si bon, si sympathique d’ordinaire. Il me semble que…

— Yvon, épouserais-tu une aveugle ?… Non, n’est-ce pas ?

— Mais pourquoi pas ? fit le jeune homme, en rougissant un peu. N’avait-il pas failli demander Annette en mariage déjà ?

— Ce serait commettre une folie, dont tu te repentirais bien vite… Vous seriez malheureux tous deux… D’ailleurs, tu le penses bien, Annette ne s’est jamais imaginée que tu l’épouserais un jour.

— Encore une fois, pourquoi pas ?

Lionel Jacques haussa les épaules, puis il dit :

— Suis mon conseil, mon garçon ; cesse de rencontrer cette jeune fille… évite-la…

— Et vous, M. Jacques ? demanda Yvon, dont la voix tremblait.

— Moi ? Moi ? Que veux-tu dire, mon pauvre enfant ?