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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

— Je ne fais que répéter certains on-dit… depuis que le curé et M. Jacques sont redevenus amis. Mlle Villemont est la promise de M. Lionel Jacques ; on assure qu’ils se marieront bientôt…

— Je ne crois pas un traître mot de tout ce que vous venez de me dire ! cria Yvon.

— Comme vous voudrez, mon bon ! répondit Patrice, en haussant les épaules.

— Je crois que vous êtes le plus grand menteur de la terre, Broussailles !

— Encore une fois, comme vous voudrez… Je vous ai averti, car c’est selon moi du plus grand comique de vous voir vous faire le champion de cette demoiselle… qui est fiancée à un autre… et je déteste voir quelqu’un se rendre ridicule, quand même ce quelqu’un serait mon pire ennemi…

— Vous avez menti ! menti !

— Écoutez, Ducastel, fit Patrice Broussailles, vous commencez à m’échauffer les oreilles ! D’ailleurs, si vous doutez de ma parole, si vous croyez vraiment que je mens, faites une course à la Ville Blanche, la prochaine fois que Mlle Villemont s’absentera, et si vous ne trouvez pas les choses telles que je vous les ai dépeintes, je veux bien passer pour le plus vil calomniateur de la terre… ce que je ne suis nullement… en ce cas, du moins.


Chapitre XII

JOYAUX ET DENTELLES


Après le départ de Patrice Broussailles Yvon se livra à une véritable crise de désespoir. Ses doux projets ! Son beau rêve : celui de faire d’Annette sa femme !… Ce rêve, si près de se réaliser, lui avait-il semblé !…

Suivrait-il le conseil qu’on venait de lui donner ?… Irait-il au Gîte-Riant, la prochaine fois que la jeune aveugle s’absenterait ?… Ne valait-il pas mieux en avoir le cœur net ?… Quant à douter de la véracité du récit de Patrice, il n’y parvenait pas… Ça devait être vrai… Annette ne lui avait-elle pas dit déjà qu’elle ne manquait jamais de venir à la ville, chaque jour ?… Or, depuis… depuis un mois à peu près, elle s’était absentée pour le moins, deux fois la semaine…

Ainsi, Lionel Jacques aimait Annette !… Et c’était pour cela qu’il avait tant conseillé à son jeune ami d’oublier la pauvre aveugle… Non, ça n’avait pas été dans l’intérêt d’Yvon qu’il avait parlé, mais par intérêt personnel…

Pourquoi n’irait-il pas à la Ville Blanche — … Dans un peu plus d’une semaine maintenant, aurait lieu le baptême de la cloche de l’église… Il serait parrain… avec Annette pour marraine… Des préparatifs étaient à se faire, en vue de la circonstance ; Mme Francœur, stylée par Yvon, avait décidé la jeune aveugle à accepter une toilette convenable. Cette toilette était sensée venir du porte-feuille de Mme Francœur ; mais, on s’en doute bien, c’est Yvon qui fournissait les fonds.

Pour le baptême en question donc, Annette serait toute vêtue de brun ; robe, chapeau, gants, bas, souliers ; tout serait d’une belle nuance de brun foncé, et dans ce costume, avait-il semblé aux deux complices (Mme Francœur et notre jeune ami, nous voulons dire) la chère petite aurait l’air d’une reine…

Un sourire, plus triste que des larmes, parut, un instant, sur les lèvres du jeune homme… Ce costume pour Annette… n’était-ce pas une farce à présent, et ne paraitrait-il pas bien ordinaire, bien sévère… trop ordinaire, trop sévère, à côté des riches toilettes de soie et de velours, garnies de dentelles, dont elle se parait, lors de ses visites au Gîte-Riant… Oui, vraiment, c’était comique ce complot qu’ils avaient élaboré pour rendre attrayante la fiancée de Lionel Jacques, du riche propriétaire de la Ville Blanche ! Quelle farce ! Oh ! Quelle farce !

Tout à coup, Yvon se mit à rire tout haut, tant il trouvait la situation ridicule. Mais bientôt, ses éclats de rire se changèrent en sanglots : des sanglots convulsifs qu’il n’eut pu arrêter… Longtemps il sanglota ainsi. Ce fut une de ces crises de désespoir dont on sort complètement moulu, comme si on