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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

de très près ; en collant nos yeux sur les vitres, nous parviendrons peut-être à voir quelque chose…

Dans cette masure donc, un groupe d’hommes et de femmes est réuni : toute une famille probablement. Ils sont assis en rond, sur des caisses vides. Au centre du cercle qu’ils forment, des enfants, trois ou quatre, se roulent sur le paillasson recouvrant le sol. Sur une caisse, plus grande et plus haute que celles qui servent de sièges, est une chandelle de suif, qu’une femme à tête blanche « mouche » toutes les deux ou trois minutes à peu près.

Ces gens, (cette famille), causent ensemble ; mais la conversation ne parait pas être très animée ; c’est plutôt une sorte de murmure confus et monotone que l’on entend. De temps à autre, une voix de femme, voix de tête, s’élève, pour réprimander les enfants, puis le murmure monotone de tout à l’heure reprend de plus belle. Malheureusement, on ne peut pas distinguer les visages de ces gens ; la flamme de la bougie n’illuminant qu’un cercle restreint.

Procédons plus loin… Arrêtons-nous à la deuxième masure, de laquelle nous parvient le son d’un instrument à corde, accompagnant un chant assez étrange ; une curieuse mélodie, de quatre ou cinq notes seulement.

À travers les vitres, plus… décorées peut-être que les premières, on aperçoit un autre groupe de gens, plus nombreux que celui de l’autre maison. Sur un seau renversé, un individu est assis et joue d’un instrument à corde, au son duquel tous balancent la tête en chantant. Il y a là des voix (voix de tête pour, la plupart) qui feraient fortune sur un théâtre ; des voix à l’extraordinaire registre, soutenant les notes les plus hautes avec une facilité vraiment remarquable.

Irons-nous plus loin ?… Nous dirigerons-nous vers la troisième masure, de laquelle, aussi, nous arrivent les accords d’un instrument à corde ?…

Nous y voici… Regardons et écoutons… Mais ce n’est plus du chant qu’on entend : ce sont des cris. Et ce que l’on voit, quoiqu’indistinctement, ce sont des gens se livrant à des contorsions, désignées par eux, sans doute, du nom de danses. Évidemment, dans cette troisième masure, on donne un bal… non à l’huile, mais au suif.

Ces trois masures que nous venons de visiter sont, nous l’avons dit, du côté droit de la Route Noire, en allant vers l’ouest. À gauche, leur faisant face est une autre maison, qui ne ressemble en rien à celles que nous venons de décrire.

Tout d’abord, à l’encontre des maisons mentionnées déjà, celle-ci on l’aperçoit à peine, en passant, car une forêt en miniature la sépare du chemin. Puis, cette demeure est à deux étages ; de plus, elle est blanchie à la chaux. Voici pour l’extérieur.

Quant à l’intérieur, au lieu de paillassons, des nattes tressées en recouvrent le sol. Au lieu de caisses en guise de meubles, la maison qui nous intéresse pour le moment, est meublée. Rien de luxueux, bien sûr ; rien de bien moderne non plus ; mais, dans la salle d’entrée, servant, elle aussi probablement de salon et de salle à manger, il y a une table, trois fauteuils et un canapé.

Puisque nous sommes en frais commettre des indiscrétions, entrons dans cette maison et voyons ce qui s’y passe.

La salle d’entrée est sombre : une faible lueur seulement y pénètre, venant de la pièce du fond, qui doit être la cuisine. Près de la table, une femme est assise ; la tête appuyée sur ses deux bras repliés, elle pleure… Elle est entièrement recouverte d’une mante rouge feu, dont le capuchon relevé laisse échapper quelques mèches de cheveux.

En regardant pleurer cette femme, on se sent ému, malgré soi ; rien n’émeut et n’attriste plus, en effet que de voir pleurer une personne âgée… La jeunesse, quelque soit sa peine, est assez vite consolée ; c’est qu’il lui reste toujours l’espérance de jours meilleurs. Mais la vieillesse !… Elle n’a de consolation, d’espoir que dans la mort, qui seule, lui semble-t-il, pourra la délivrer. Le sourire ne devrait-il pas plutôt orner sans cesse